Psychiatrie : « Une loi technocratique » Par Agnès Noël

Le 30 septembre 2010 dans Témoignage Chrétien, Roland Gori, psychanalyste, initiateur de L'appel des appels, explique son opposition au projet de réforme des soins psychiatriques. Entretien.

TC : Le projet de réforme des soins psychiatriques va être examiné au Parlement cet automne. Est-il à la hauteur de vos attentes ?

Roland Gori : Je trouve que ce projet de loi est assez représentatif de la dérive actuelle en psychiatrie. Le pouvoir s'est emparé d'un fait divers, de l'émotion collective pour promouvoir un texte plus soucieux de sécurité que de santé. On s'occupe moins de la prise en charge des souffrances, on quadrille la population. Et par ailleurs, on est censés informer les patients à toutes les étapes du processus : c'est hypocrite. On fait comme si quelqu'un à qui l'on conteste la capacité de consentir avait néanmoins le droit d'être informé. Je ne suis pas sûr que cette loi soit la bonne manière de gérer le désarroi des familles et l'isolement des malades.

Pour vous, cette loi est symptomatique d'une évolution de notre société

Effectivement. Elle se révèle comme le symptôme d'une société où l'on est de plus en plus dans le contrôle. Elle est un élément, un signe parmi d'autres dans un pays où l'on demande aux médecins de cautionner des choix idéologiques. Et ce que je trouve scandaleux, c'est que toutes les réformes actuelles disculpent la société de la part qui est la sienne dans la souffrance des gens. Nous nous trouvons face à une idéologie scientifique qui veut dépister les troubles du comportement comme on dépiste le diabète. Il est plus facile de dire que les troubles viennent de dysfonctionnements du cerveau que d'attribuer au relâchement du lien social la difficulté de soigner. En même temps que l'on contraint les patients, on baisse les moyens donnés au personnel. Et plus on renforce les murs en psychiatrie, plus on rabaisse la fonction de la relation dans le soin. Cette baisse de moyens va déboucher sur des modes d'« emprisonnement » ( psychique, chimique, social.. ) accrus des malades dans notre société.

Pour vous, les soins ambulatoires, objet du projet, ne peuvent donc constituer une alternative ?

Des soins ambulatoires ? Bien sûr, mais dans un objectif de soin. Pas pour résoudre les problèmes de pénurie de psychiatres, d'équilibre des budgets des hôpitaux ou pour transférer aux cliniques privées le marché du soin psychiatrique. Et le problème de l'ambulatoire, c'est qu'on risque de tout réduire aux médicaments, faute de moyens humains.

Autre point litigieux, le préfet peut refuser de faire sortir quelqu'un du dispositif de soins sans consentement contre l'avis des médecins.

Nous assistons à une revanche du programme administratif sur le projet thérapeutique. Les soignants sont la dernière roue du carrosse. Les antécédents des gens prennent une place de plus en plus décisive dans la décision de sortie. Ce que l'on demande à la psychiatrie, ce n'est plus la guérison, c'est la maintenance sociale.

Le recours au juge des libertés dans ce cas de figure serait-il une bonne alternative ?

Ce recours est conforme aux recommandations de la Cour européenne des droits de l'homme, mais je ne vois pas d'un très bon %oe%il cette judiciarisation des soins. S'appuyer sur les juges, c'est reconnaître que ce projet « condamne au soin ». D'autant qu'aujourd'hui, le magistrat risque d'être de plus en plus soumis à différentes pressions, comme celle de l'autorité du parquet ou de l'opinion publique. Alors c'est une garantie à géométrie variable se­lon les circonscriptions.

La création d'un collège de soignants peut-elle alors être considérée comme un contre- ­poids ?

On crée un collège de deux psychiatres et d'un cadre infirmier. Mais pourquoi créerait-t-on un collège exclusivement sanitaire ? Ne pourrait-on pas créer un collège citoyen, composé certes de psychiatres, de cadres infirmiers, mais aussi de psychologues, d'infirmiers, de personnel technique, de patients et de membres de familles des patients ? On ne serait plus alors seulement dans une perspective technocratique, mais davantage dans la perspective d'un projet thérapeutique essayant d'associer différents protagonistes aux soins.