La HAS réfléchit à ...sortir de son rôle !

Selon les déclarations faites par son président, M. Collet, le 8 octobre, lors de la conférence de rentrée de la HAS, celle-ci réfléchit à rendre opposables "certaines" de ses recommandations, déplorant que le liberté de prescription du médecin pourrait le conduire à ne pas "respecter strictement "les recommandations qu’elle émet.

 

Que ce soit pour "certaines" recommandations et pour "une certaine" durée ("quelques années, pourquoi pas plus"), donner un pouvoir prescriptif à la HAS serait à la fois transformer radicalement la mission que le législateur a donné à celle-ci et abolir la liberté du praticien au profit d’une autorité administrative, fut-elle indépendante et à caractère scientifique.

 

Faut-il rappeler qu’un régime des recommandations opposables a été rejeté à la fois par le conseil d’état et par l’ensemble de la profession médicale dans les années 90  et que la HAS a été crée ensuite en rupture avec cette logique  de la coercition ?

 

Faut-il également rappeler (comme l’a pourtant fait le Conseil d’Etat il n’y a pas si longtemps) que la HAS n’a en vertu de la loi qu’une compétence pour émettre des recommandations qui ont pour seul objet de guider les professionnels de santé dans leur pratique, sur la base des données acquises de la science, sans jamais pouvoir dispenser le professionnel de santé de rechercher, pour chaque patient, la prise en charge qui paraît la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations et des préférences du patient ?

 

Certes, la déclaration de M. Collet ne fait que refléter son souhait : "Une modification législative serait nécessaire" dit-il. Nous sommes effectivement rassurés que ce détail ne lui ait pas échappé ! L’avenir dira si le Parlement entend instituer une médecine d’Etat normalisée et faire de la HAS son instrument...

 

Nous entendons néanmoins alerter sur ce que cette déclaration révèle de la volonté du président d’une autorité pourtant collégiale, censée être indépendante et représentative de la diversité des courants de pensée scientifique et des approches thérapeutiques, de l’instrumentaliser sous l’influence des groupes d’intérêt qui cherchent à transposer de manière infondée et abusive "la médecine basée sur les preuves" au domaine des troubles mentaux et des soins psychiques.

 

L’acharnement idéologique et gestionnaire du délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement (M. Pot), qui selon le président de la HAS l’a "alerté sur ce point" , ne peut en effet rien changer au fait que l’état actuel des connaissances ne permet pas de traiter les troubles mentaux comme des entités naturelles auxquelles des traitement exclusifs pourraient être appliqués. Aucun soin digne de ce nom ne pourra se fonder sur le déni de cette réalité !

 

Démanteler les équipes dans une course effrénée et régressive vers le tout libéral en externalisant des soins complexes et exigeants, réduits au passage en outils et protocoles appauvrissants, n’est pourtant pas une fatalité.

Déterminés à défendre les soins de qualité, c’est à notre tour d’exprimer un souhait : que l’institution que M. Collet représente reste à la juste distance que son intitulé indique pour éclairer la complexité des troubles et l’indispensable pluralité épistémologique dans les façons de les appréhender plutôt que de régresser vers une pratique prescriptive et réductrice dont patients comme praticiens, et notre société toute entière, feront les frais.

 

 

Evi STIVAKTAKI

Psychologue clinicienne

evi.stivaktaki@gmail.com

Par Roland Gori, à lire dans Libération