L'art de ne pas rester seul

FÊTE DE L'HUMANITÉ

L'art de ne pas rester seul !

Grande affluence sur le stand des Amis de l'Humanité où les ouvriers en lutte qui ont fait l'actualité côtoyaient psy, juge, prof et artistes.

Pendant nos quatre mois de lutte, expliquaient samedi les « Conti », debout et poing levé sur la scène des Amis de l'Humanité, quand le médecin du travail voyait arriver quelqu'un de déprimé, il lui conseillait de venir aux assemblées générales pour se remonter le moral ! Et Xavier Mathieu, l'un des six ouvriers CGT condamnés, insiste, après que Charles Silvestre a rappelé la condamnation de l'insulte faite à Bernard Thibault et à la direction de la CGT, sur la nécessité, « pour arracher à l'Assemblée nationale l'interdiction des licenciements collectifs, de briser l'isolement dramatique des luttes menées, jusque-là, entreprise par entreprise ». Éric, membre du comité de lutte, lance « un appel à la solidarité, dès qu'on apprend qu'une usine ferme ». Gérard déclare que, « comme les 1 120 salariés de l'usine, son avenir, il y pensera après, lorsque les six auront été relaxés ». Les temps sarkozystes, à force de mépriser l'homme, de le nier, de le chosifier, poussent à ne pas rester seul, à faire union pour faire force. C'est le sens de la démarche initiée, au printemps, par Roland Gori, prof de psychopathologie à Marseille, Serge Portelli, magistrat au tribunal de Paris, Philippe Mérieu, prof en sciences de l'éducation à Lyon, Daniel Le Scornet, président de la Fédération des mutuelles de France, qui, ayant, chacun de leur côté, signé des pétitions contre la politique sarkozyste de casse, de peur et de norme, ressentent, un beau jour, l'intérêt de recentrer le tout dans l'Appel des appels, publié dans l'excellente revue Cassandre. Laboratoire de réflexions transversales aux champs artistique, scientifique et social, il recueille en un rien de temps 76 000 signatures !

Et aujourd'hui, chacun rêve que ces luttes, au lieu de s'additionner, se transforment en une vraie métamorphose du mouvement social français. Convié à les rencontrer, Jean Picaretta, technicien chez Caterpillar à Échirolles, à peine sorti de dix semaines de luttes avec séquestration des patrons, exhorte le public à « s'engager dans un parti, un syndicat, une organisation, pour ne pas rester seul dans son coin, parce que là, on se fait détruire ! ». En ces temps de désespérance, les artistes invités au stand vont, eux aussi, chercher dans l'histoire ce qui peut rassembler aujourd'hui. Robert Guédiguian, s'adressant aux jeunes, leur propose, dans son film, l'Armée du crime, de s'identifier à la communauté de héros unie autour de Manouchian (lire page 31). L'actrice Anouk Grimberg trouve de quoi alimenter ses utopies dans les lettres de Rosa Luxemburg. Le graphiste Gérard Paris-Clavel et le réalisateur Raoul Sangla travaillent, au sein du collectif Ne pas plier, à créer des slogans, comme « Rêve générale », « Utopiste debout » et « Je lutte des classes », capables de susciter du désir de lutte. Le plasticien Ernest Pignon- Ernest se rend jusqu'à Ramallah pour coller, avec des étudiants du cru, sur le honteux mur de séparation, des interventions-images du poète palestinien Mahmoud Darwich La veille, un frisson est passé sur le stand lorsque Bernard Hurault a fait revivre le fameux Urgent crier du défunt André Benedetto, qui, comme auteur et directeur de troupe, n'arrêtait pas, en son théâtre des Carmes, à Avignon, d'être passeur d'idées et de valeurs. Avec Chao(s)péra créé par la Compagnie Lubat, Denis Lavant et Didier Firmin autour du texte Quand les murs tombent, des poètes écrivains Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, c'est la Martinique et la Guadeloupe qui exhortent, tambours battants, à entrer dans le rythme de la langue.

Le vendredi soir, dans le stand où l'on dégustait bio grâce à Biocoop, son président, Claude Gruffat, et l'art expert d'Un monde gourmand, se retrouvaient Jean-Paul Jaud, réalisateur du film Nos enfants nous accuseront, Édouard Chaulet, maire communiste de Barjac (Gard), et François Dufour, membre de la Confédération paysanne. Le premier a filmé le passage au bio de la restauration scolaire dans la ville du second et 300 000 spectateurs se sont déjà approprié son film, qui dénonce les lobbys de l'agroalimentaire, massacreurs de santé. Le troisième a réussi la mutation biologique de sa propre production et milite en faveur d'un « ressaisissement politique » qui stopperait l'actuel modèle productiviste laminant le petit paysan et, du même coup, la souveraineté alimentaire. Si ce n'est pas encore une chaîne pour le bien commun, ça, alors qu'est-ce que c'est ?

Magali Jauffret

http://www.humanite.fr/2009-09-14_Medias_L-art-de-ne-pas-rester-seul