Texte de Patricia, Psychologue en CMP

Je suis psychologue et psychanalyste, exerçant depuis 17 ans dans un CMP de la banlieue parisienne. 

Le CMp où j'exerce des psychothérapies d'inspirations analytique en lien avec une équipe pluridisciplinaire ( infirmiers, médecins psychiatres, assistante sociale, secrétaire, cadre de santé) comprend deux secteurs très importants de par la densité de la population qui ne cesse d'augmenter ces dernières décennies et de par sa précarité sociale qui fait que nos services sont très sollicités. 
Évidemment, le contexte sanitaire actuel n'arrange rien, au contraire. 
Pour autant, malgré les annonces, pour un meilleur accès du public à la psychothérapie, les moyens non seulement ne sont pas augmentés dans les CMP mais en plus diminuent. 
Tout récemment, il nous a été signifié que nos missions n'étaient plus au suivis et encore moins à la thérapie. Les CMP devront être des plateformes d'évaluations et d'orientations vers le secteur privé quels que soient la situation du Sujet et ses antécédents psychiatriques, ses besoins, sa demande et sa pathologie.
Les patients qui ont une prise en charge psychiatrique pour une psychose ou une dépression grave, seront reçus une ou deux fois par le psychiatre avant d'être envoyés pour le suivi vers le médecin généraliste; ceux qui sont engagés dans une psychothérapie avec un psychologue en CMP devraient être orientés vers un psychothérapeute privé qui pourrait faire bénéficier du remboursement les usagers n'ayant pas de moyens financiers via une prescription médicale. 
Ne pouvons-nous pas voir dans ce projet de loi sur l'ordre des psychologues et leur rattachement aux professions de santé, une nécessaire paramédicalisation des psychologues afin d'envoyer les patients en privé et éviter de donner au service public les moyens d'accueillir un public en grande souffrance ? 
Tout cela est lancé sans réflexion préalable, ni avec les professionnels du secteur public ni avec ceux du secteur privé car je ne suis pas sûre que ni les médecins généralistes, ni les psychologues en cabinet privé ne se sentent prêts à assurer tous les suivis de patients aux pathologies lourdes, suicidaires ou délirantes.
Pour m'être étonnée, de déroger à ce qui a toujours été une obligation éthique du service public jusqu'ici _ à savoir l'interdiction de diriger qui que ce soit vers le secteur privé _ il m'a été signifié mon intérêt à me taire et l'obligation qui était la nôtre d'exécuter sans rechigner, "ce qui nous est demandé", je cite,  "par nos tutelles".
Patricia.
 

Par Roland Gori, à lire dans Libération