Sauver le climat, la planète… et l'être humain. Par Roland Gori et Nicolas Roméas.

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Les menaces écologiques sont là. Toutes les menaces. Celles qui affectent notre planète que le réchauffement climatique pourrait rendre inhabitable. Celles d’un monde dérégulé par l’hubris d’une finance folle et improductive qui, chaque jour, ne fabrique plus qu'inégalités et misère. Les alertes sur le climat qui s'intensifient à l'approche de la COP 21 ne doivent pas occulter une urgence tout aussi cruciale mais beaucoup moins médiatisée, celle qui touche les différents domaines de ce qu'on appelle généralement la «culture».

Les experts de la COP ont raison de se pencher sur la fonte de la banquise et la disparition de l’ours blanc. Et la fonte des « humanités » ? Et la disparition de l’humanité dans l’homme ? Au moment où le gouvernement japonais incite à supprimer les départements universitaires de sciences humaines et sociales, pourquoi se préoccuper de ce qui n'est pas rentable ? Au nom de l’efficacité - ce langage de machine -, et du coût - ce langage de comptable -, pourquoi continuer à faire vivre les artistes, à enseigner à réfléchir, à penser, bref à perdre du temps ? Pourquoi ne pas supprimer toutes ces choses inutiles qu’un humanisme obsolète tient pour cruciales, ces outils du symbolique qui sont garants de notre humanité…

 Oui, il est grand temps de prendre conscience de l'attention que nous devons à notre planète, mais il faut aussi se préoccuper de l'être humain qui l'habite. Ce qu'on appelle généralement la «culture»  n'est autre que l'ensemble des outils nécessaires à la fabrication d'êtres humains dignes de ce nom, à l'opposé de la vision transhumaniste qui est leur transformation en machines ultraperfectionnées dépourvues d'imaginaire et d'émotions.

Ces outils sont attaqués de toute part par les tenants d'un néolibéralisme féroce dont les injonctions sont relayées par des institutions européennes, qui, en détruisant peu à peu toute notion de service public en ce domaine comme dans les autres, effacent de notre paysage les conquêtes et les constructions sociales de l'après-guerre.

Il y a une cinquantaine d'années, des chercheurs comme  René Dumont ont fait apparaître un nouveau mot dans notre champ lexical  : écologie. Nous devons l'apparition de ce concept dans le langage commun à l'action combinée de leur travail et des menaces qui commençaient à poindre dans la conscience publique. Nous en sommes aujourd'hui au même point pour ce qui est des outils du  symbolique : diminution des soutiens aux artistes et aux acteurs culturels sous prétexte de «crise», transformation des responsables culturels en gestionnaires, destruction de lieux d'art, de manifestations passionnantes, de matières enseignées à l'école et à l'université…

Si nous n'y prenons garde, c'est un être humain dépourvu d'imaginaire, quasi-robotisé, qu'on nous prépare, lorsque pour rester dans la compétitivité et le rationalisme financier, nous serons sortis de l’humanité. Et suivant la métaphore de Pier Paolo Pasolini, les lucioles disparaîtront.

Une civilisation qui fait du temps gagné le critère du succès se condamne irrémédiablement à ne plus prendre celui de penser. Une civilisation qui promeut «l’utile» comme vertu cardinale de son organisation sociale est condamnée à éliminer ce qui semble ne pas l'être. Une civilisation qui oublie son passé est condamnée à le revivre. Cela commence par la nature et les espèces improductives… et cela finit toujours par la culture, c'est-à-dire l'être humain. Se souvient-on de Gœbbels sortant son revolver lorsqu’il entendait parler de culture ? Bien sûr, nous n’en sommes pas là, mais de nouvelles violences se profilent à l’horizon, avec leurs nuées de populismes, de racismes, d’antisémitisme, d’islamophobies, de nationalismes… qui annoncent les orages fascistes.

Ne nous y trompons pas. La culture appartient de pied en cap à l’écologie. C'est l’environnement de l’humain, son humus. Elle est l’autre nom du politique et le néolibéralisme rêve d’en finir avec ces «penseurs» inutiles que nous sommes tous. Lutter contre la destruction des savoirs, des pratiques, des lieux où penser et échanger, contre la prolétarisation des artistes, ce n'est pas l’affaire de quelques corporations en obsolescence programmée. C’est l’affaire de demain et de tous.
 
Loin du tapage médiatique et des jeux d'appareil qui nous font risquer le pire, il importe aujourd'hui d'enraciner le débat démocratique des futures élections régionales et présidentielles sur trois points essentiels : la politique de l'emploi, l'écologie, et ces outils du symbolique qui constituent ce qu'on nomme la culture. Faute de quoi, comme le disait récemment M. Schaüble à Michel Sapin, il n'y a aucune raison que des élections changent quoi que ce soit !


Roland Gori (professeur émérite de psychopathologie clinique à  Aix Marseille Université, cofondateur de l'Appel des appels http://www.appeldesappels.org/, dernier livre publié : L’individu ingouvernable, LLL, 2015)

Nicolas Roméas (fondateur de la revue Cassandre/Horschamp www.horschamp.org et du site L'Insatiable www.linsatiable.org )

Nous nous proposons d'organiser une grande rencontre nationale pour évoquer publiquement ces enjeux. Si vous souhaitez en être, merci de nous contacter à cette adresse : rencontre (at) horschamp.org

 

Par Roland Gori, à lire dans Libération