Roland Gori – « Un président qui court après sa parole »

MACRON SUR LE DIVAN 4/4. Le psychanalyste Roland Gori voit en Emmanuel Macron un Alcibiade ignorant le principe de castration, mis à nu par un double choc, Gilets jaunes et Covid.

Nicolas Machiavel nous avait prévenu : « ceux qui de simples personnes deviennent

Princes par le moyen seulement de fortune n’ont pas grand-peine à y parvenir mais beaucoup à s’y maintenir ; et ils ne trouvent pas fort mauvais chemin au commencement, car ils y volent,

mais toutes les difficultés naissent après qu’ils sont en place2. »

Les difficultés n’ont pas manqué à Emmanuel Macron. Il y a eu d’abord l’épidémie des

colères sociales, notamment celles des Gilets Jaunes, lesquelles sont venues altérer les

croyances saint-simoniennes d’un Président pour qui la réussite dans les affaires et la

performance économique étaient tout. Une croyance à son image, une croyance qu’il

incarnait, mieux qu’il corporéifiait. Il s’était présenté jusque-là comme le héros de notre temps,

homme providentiel, défiant toutes les procédures traditionnelles, toutes les grilles de carrière

et d’avancement des partis politiques et des institutions sociales. Bref, un homme qui se plaisait

à laisser croire qu’il s’était fait lui-même, un autoentrepreneur de son propre destin comme

l’affectionne la théologie néolibérale. Tel Alcibiade dont Lacan se plaisait à dire qu’il semblait

ignorer le complexe de castration, conquérant habilement porté par le dégagisme de l’extrême

centre, Emmanuel Macron pût jouer les narcisses en politique. Quelques mois durant il a pu

buriner la France et le peuple français à la manière d’un Pygmalion qui s’aime dans ses

oeuvres, méprisant tous ceux qui, « ne faisant rien, ne st rien ». Il a pu aussi quelques mois

durant mirer son image dans l’agitation de sa « bande », sa bande de clones qui l’entoure et

l’adore parce qu’elle lui doit tout. Tout chez cet homme procède de cette « éthique

entrepreneuriale » qui renvoie aux calendes grecques les notions obsolètes de dette, de fidélité,

de loyauté… et d’empathie. L’empathie n’est pas la sympathie, elle n’est pas effusion

sentimentale propre à la consommation des modes et des célébrités, elle est identification

inconsciente au point de vue de l’autre, une façon de se mettre à sa place tout en restant soimême.

Une posture éthique à laquelle demeure allergique, résiliente cette nouvelle aristocratietechnico-financière qui a réussi l’hybridation de la haute fonction publique qu’elle trahit

allègrement et le secteur des affaires dont elle prise les valeurs. C’est peu dire qu’elle manque

d’empathie, elle est plutôt rétive à toute altérité. L’Autre n’existe pas. Je veux dire que l’Autre

n’existe pas en tant que sujet, il n’existe pas autrement qu’en tant que moyen utilisé à la fin

suprême de parvenir à l’élargissement de soi-même comme start up. Les Gilets Jaunes sont

venus revendiquer le droit à l’altérité sociale. Ils furent la vérité du discours macronien, son

hétérogène, son point aveugle. Une façon de dire « on est là ».

 

 

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Par Roland Gori, à lire dans Libération