ROLAND GORI, PSYCHANALYSTE, À PROPOS DE LA RÉVOLTE SOCIALE DES GILETS JAUNES

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Le pouvoir serait-il nu face à la révolte sociale des Gilets Jaunes ? Le "miracle" Macron serait-il en train de se dissiper et avec lui les attentes collectives et les croyances qui l'avaient favorisé ?

 

Les événements d’aujourd’hui tendent plus que jamais à démontrer la pertinence des analyses de Nicolas Machiavel: « ceux qui de simples personnes deviennent Princes par le moyen seulement de fortune n’ont pas grand-peine à y parvenir mais beaucoup à s’y maintenir ; et ils ne trouvent pas fort mauvais chemin au commencement, car ils y volent, mais toutes les difficultés naissent après qu’ils sont en place. »

 

Les difficultés d’Emmanuel Macron proviennent aujourd’hui du malentendu et du paradoxe qui l’ont porté au pouvoir, qui ont constitué la chance et l’opportunité qu’il a su saisir. Il a surfé sur la vague des dégagismes qui avaient porté au pouvoir tous les héros des démocraties illibérales de Trump à Salvini en passant par Orban. La manière dont En Marche a émergé ressemble plus qu’on ne l’a dit à la construction du Mouvement Cinq Etoiles…sauf que si la syntaxe est la même le contenu du message est opposé. Là où le Mouvement Cinq Etoiles, allié à Salvini, conteste les effets de la mondialisation néolibérale, de la technocratie européenne, Emmanuel Macron réclame plus d’Europe et plus de libéralisme, il en fait une vision du monde à laquelle il s’est identifié et qu’il incarne parfaitement à l’image des nouvelles élites.

 

D’où son numéro d’équilibriste entre un discours humaniste et une pratique sociale férocement néolibérale, d’où son slogan du En même temps dont l’équivoque s’est dissipée très vite dès lors qu’il a donné les Ministères (de la Main Droite de l’Etat)…à la Droite! Son élection est un oxymore, une incroyable association de valeurs et de discours contradictoires.

 

L’illusion a joué au point de laisser penser qu’un « produit » des plus purs et des plus brillants du « vieux monde » allait ouvrir vers un monde nouveau, qu’un des plus fervents représentants de la technocratie et de la finance allait restituer au peuple sa démocratie.

 

Aussi aujourd’hui l’insurrection est là. Elle dépouille le pouvoir de ses habits d’apparat pour laisser apparaître ce qui fracture son discours, la légitimité de sa parole et de son autorité. Au-delà de la fracture sociale, géographique, culturelle, c’est la faille entre ce qui était dit et ce qui est montré qui se dévoile: fracture entre une rhétorique humaniste et une pratique sociale néolibérale, fracture entre un appel au sacré et aux valeurs symboliques du pouvoir et une réalité mettant plus que jamais le peuple sous la curatelle de l’économie et de la technique.

 

La fracture d’aujourd’hui est d’abord et avant tout dans le discours d’Emmanuel Macron. C’est du populisme sans le peuple!

Par Roland Gori, à lire dans Libération