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Un article de Roland Gori et Fabrice Leroy paru dans le journal Libération du 1er juin.
Coucher les politiques sur le divan : une psychanalyse sous contrainte ? Un soin sans consentement ! Peu de temps après une réforme désastreuse de la psychiatrie pour les praticiens du soin psychique et pour les patients, instaurant - entre autres - les soins sans consentement jusqu’au domicile, on voit se répandre dans différents médias des «experts» de la psychanalyse déverser des interprétations sauvages d’un fait divers aussi tragique que spectaculaire.
Voilà le type de propos d’allure «savante» qui, de notre point de vue, font grand tort à la psychanalyse en la transformant en homme à tout faire de la morale et de l’idéologie. L’affaire Dominique Strauss-Kahn, douloureuse, tragique, sidérante, aurait mérité mieux de la part de nos amis psys que cette «lecture directe» des faits et comportements broyés par les médias et par un savoir «expert» devenu pièce à charge d’un dispositif d’humiliation politique.
L’éthique et la méthodologie de la psychanalyse proscrivent l’interprétation sauvage et directe des propos et des actes d’une «personne» transformée en «patient», sans ses propres associations dans une situation particulière de soin. Bref, l’un de nous s’est déjà exprimé sur ce sujet (1), vouloir faire l’analyse d’un personnage politique est un leurre et dans ce cas particulier un leurre dangereux pour la démocratie.
Ces psychanalyses sauvages des hommes politiques participent au divertissement et aux jeux de cirque que chérissent nos démocraties d’opinion, démocraties recomposées par les logiques symboliques et matérielles de la société du spectacle et de la marchandise. Au moment où le pouvoir fait son choix parmi les savoirs transformés en magasins en libre-service pour se doter d’une légitimité que la seule autorité politique ne parvient pas à lui conférer (2), il nous paraît dangereux que les psys de tous ordres fassent entendre leurs voix pour couvrir un désastre. Le désastre du vide démocratique d’un espace de la cité dans lequel la promotion d’un «homme providentiel» fabriqué par les sondages vient se substituer aux véritables débats politiques et démocratiques.
La politique se réduit alors aux mouvements en yo-yo que produit la logique de la Bourse, fluctuant au gré des informations diverses et variées des parts du marché de l’opinion publique. «Une psychanalyse sous contrainte» des hommes politiques, en même temps qu’elle révèle la pauvreté de sa démarche et la disette de ses résultats, témoigne de l’état politique de notre démocratie, un degré zéro de la politique.
(1) «Vouloir faire l’analyse de Sarkozy est un leurre», www.lepoint.fr (2) Roland Gori, «De quoi la psychanalyse est-elle le nom ? Démocratie et subjectivité», Denoël, 2010.
Par Roland Gori, à lire dans Libération
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