Lettre ouverte du Pr Michel PATRIS à Martine WONNER Députée de la 4è circonscription du Bas Rhin

Madame la Députée
 
Permettez moi de me rappeler à votre bon souvenir. Il y a quelques années, alors que j’étais encore en exercice à la Faculté de Médecine de Strasbourg, nous avons entretenu des rapports cordiaux et constructifs. Je n’ai pas oublié , entre autre, que vous avez soutenu la démarche du CAMUS (Centre d’Accueil Médico Psychologique Universitaire de Strasbourg) que j’avais mis en place sur notre campus en 1994. Vous ne pouviez ignorer que ce centre avait une vocation psychothérapique et que ses consultants d’alors avaient, comme moi, une formation et une pratique se référant à la psychanalyse. Je me souviens aussi d’échanges sur la rareté des cliniques psychiatriques privées en Alsace et ce que pourrait être une clinique idéale animée par un “esprit psychothérapique”. Dernier rappel: convaincu de vos meilleures intentions vis à vis d’une psychiatrie “œcuménique”, j’ai soutenu votre candidature auprès de la Commission Nationale de Qualification en Psychiatrie, dont j’assurais la présidence, et  qui vous a accordé cette spécialité en 2006.
 
Quels n’ont pas été mon incrédulité première puis mon “ravissement”  en découvrant que vous étiez signataire du plus médiocre pamphlet anti psychanalytique que j’ai pu lire au cours de ma carrière. Sur un ton violent et autoritaire cette pétition égraine les préjugés, les insultes, les condamnations haineuses dont les psychanalystes sont la cible depuis plus d’un siècle. Je pense inutile d’entamer avec vous une controverse , d’autres s’y sont déjà attelé. A défaut de polémique, vous aurez droit à un petit cour d’histoire de la psychiatrie.
 
Aux diffamations pures et simples, il n’y a pas à répondre. Freud s’en est bien gardé. A titre d’exemple, quand le professeur Alfred HOCHE (un des nombreux universitaires allemands militant dès le début du siècle dernier  pour l’euthanasie des malades mentaux “incurables”) déclara le 28 mai 1910 au Congrès  des aliénistes du sud ouest allemand tenu à Baden- Baden “ C’est une vraie épidémie psychique, ils (les psychanalystes) sont tous mûrs pour l’asile” , JUNG et FREUD en plaisantaient.
La suite ne prête pas à sourire. Comme vous le savez , toutes les dictatures ont persécuté les psychanalystes. Contraints à l’exil, déportés, exécutés aussi (John RITTMEISTER a été fusillé par les nazis le 13 mai 1943). Les psychanalystes exerçaient dans la clandestinité sous le régime soviétique (j’en ai rencontré plusieurs lors d’un congrès à Moscou en 1989, les langues commençaient à se délier).
La dictature militaire qui a sévi en Argentine entre 1976 et 1983 n’a pas démérité (je vous recommande “Le psychanalyste sous la terreur” ed. Matrice 1988) 
Les américains, très “libéraux”, sont parvenus à marginaliser les psychanalystes non médecins par le jeu des compagnies d’assurance, dont les grandes firmes pharmaceutique sont actionnaires.
Tous ces faits passés et présents démontrent que quand les pouvoirs, politiques et financiers mêlés, s’attaquent à la psychanalyse, c’est un mauvais signe pour la démocratie.
Ne vous en déplaise, la psychanalyse est vivante. A Strasbourg la Clinique Psychiatrique Universitaire a su jusqu’à ce jour respecter la pluralité des “grands courants de pensée” de notre discipline. Les doyens de la Faculté de Médecine de Strasbourg ont durant mon exercice non seulement toléré mais pour certains soutenu et encouragé les enseignements se référant à la psychanalyse. La volonté affichée de chasser les analystes de l’Université fait injure à l’Université. Elle me fait honte pour ceux qui profèrent la haine avec une rage qui suffit seule à prouver que la psychanalyse touche au plus juste de notre condition…au risque de devenir insupportable.  
Dieu merci, tous les élus ne partagent pas votre anathème !
 
Votre position d’élue du peuple français, vos liens avec l’Alsace et de ce fait avec notre Université auraient pu vous inspirer un minimum de retenue, quelques soient vos opinions personnelles sur la psychanalyse. Vous ayant connue plus clémente et nuancée, je m’interroge sur votre ingratitude présente. Loin d’en faire une atteinte personnelle, je ne puis m’empêcher de repenser à ce que me disait un jour Lucien ISRAEL “Si vous rendez  service à quelqu’un, il est possible qu’il ne vous le pardonne jamais
 
Recevez, Madame la députée, mes très respectueuses salutations  

Par Roland Gori, à lire dans Libération