Les services sociaux ne sont pas des services marchands… mais leur financement impose qu’ils soient des entreprises économiques

 

Joël HENRY1

Michel CHAUVIÈRE2

Octobre 2012

 

  1. Exposé des motifs

 

Cette contradiction préjudiciable à la spécificité ainsi qu’à la qualité des services sociaux perdure dans le droit communautaire, y compris après les dispositions du « paquet Almunia » (décembre 2011-avril 2012) élargissant le champ des dérogations apportées au principe cardinal de l’interdiction des aides d’État réputées fausser la concurrence dans le marché intérieur (articles 107 & 106-2 du TFUE)3.

Le dit paquet Almunia (parfois nommé paquet Almunia-Barnier) regroupe quatre textes dont la lecture de l’un d’entre eux, la communication de la commission relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général (SIEG) confirme l’idéologie libérale de l’Union européenne et actualise la question compliquée des aides d’État. Mais, au-delà, bien que n’ayant pas force contraignante, cette communication révèle la contradiction, l’ambigüité y existant parfois entre la reconnaissance, ou, à tout le moins, la quasi reconnaissance du caractère non économique des services sociaux et l’impérieuse condition d’être authentifiés comme des entreprises économiques pour que leurs financements soient autorisés et ne risquent pas d’être sanctionnés par la Commission voire la Cour de justice européenne sur le fondement de l’erreur manifeste, véritable épée de Damoclès.

Les lignes qui suivent visent, au fil du texte de la communication, à lister les contradictions, ambigüités, erreurs d’interprétation qu’elle recèle et, en regard, à réaffirmer nos arguments aux fins du reclassement des services sociaux d’intérêt général (SSIG) à leur juste place dans les services non économiques d’intérêt général (SNEIG), services définis par l’Union européenne comme n’étant pas fournis en échange d’une contrepartie économique. C’est l’alternative que nous défendons depuis longtemps et plus de 2500 personnes, travailleurs sociaux, personnels médico-psychologiques, magistrats, enseignants, autres citoyens, la soutiennent au travers de deux pétitions mises en ligne.

 

  1. Analyse et commentaires

 

1-D’emblée, la communication réaffirme la condition impérative d’être un service d’intérêt économique général (SIEG) déterminé par chacun des États membres pour pouvoir être financé, à titre dérogatoire, par des aides d’État devenant alors des compensations de service public. D’emblée aussi, rappelle-t-elle, elle ne porte nullement atteinte à l’application d’autres dispositions du droit de l’Union, notamment celles relatives aux marchés publics et celles résultant du traité (chapitre 1-5).

Ainsi, de manière classique, en raison du principe de subsidiarité, l’Union reconnaît le droit pour tout État membre de déterminer, d’organiser et de financer un SIEG, droit qu’elle peut contester et refuser, au cas par cas, sur le fondement de l’erreur manifeste d’appréciation par l’État membre éventuellement mis en cause. Cette « liberté surveillée » n’est pas propre aux seules aides d’État mais elle renforce le questionnement sur la perte de souveraineté de chaque État ainsi que sur l’application très aléatoire du principe de subsidiarité pourtant au cœur du mécanisme européen depuis sa fondation en 1957. Elle fait également apparaître deux autres aspects moins classiques. D’abord, la volonté d’empiétement insatiable de l’Union tendant à élargir ses compétences en faisant glisser certains domaines de compétences partagées, par exemple celui de la politique sociale, dans ses compétences exclusives. Ensuite, le refus de promouvoir un texte proactif, éclairant a priori les différents tenants et aboutissants que les États membres sont tenus de respecter, car les commissaires européens préfèrent-et le disent- maintenir une stratégie au cas par cas, soumise à leur appréciation voire à l’arbitrage final par la Cour de justice européenne. Celle-ci, au lieu d’être cantonnée dans sa fonction de veiller au respect du droit positif, se trouve placée en position d’élaborer de la doctrine compte-tenu des contradictions et des vides juridiques existants dans le corpus juridique communautaire.

 

2- Le chapitre 2 de la communication est consacré aux dispositions générales relatives à la notion d’aides d’État.

Dans le rappel des principes généraux, le texte réaffirme que tout bénéficiaire d’une aide d’État doit être une entreprise. Le statut en droit interne (national) d’association ou de club sportif importe peu, l’essentiel étant que l’entité exerce une activité économique. De même, le fait de poursuivre ou non des buts lucratifs ne conditionne pas l’application des règles en matière d’aides d’État, des entités sans but lucratif pouvant très bien offrir des biens et des services sur un marché donné. C’est ce dernier aspect qui, aux yeux de la Cour de justice européenne, constitue une activité économique.

 

Le point 12 du chapitre 2.1.1 retient tout particulièrement notre attention. En effet, on peut y lire que les règles en matière d’aides d’État ne s’appliquent que lorsqu’une activité donnée est réalisée dans un environnement commercial. S’agissant des services sociaux, tout travailleur social, quel que soient le statut associatif ou en régie de son service et les catégories d’ayant-droits concernés, ne peut que s’inscrire en faux par rapport à ce pré-requis fondé sur une méconnaissance complète et très préoccupante du terrain. Mais à y regarder d’encore plus près (chapitre 3.2 point 47) cette référence commerciale résulte des caractéristiques mêmes de la plupart et des plus importants services d’intérêt économique général (SIEG), au départ services commerciaux auxquels les autorités publiques ont conféré des obligations de service public (OSP)4.En effet, comme le texte l’énonce les entreprises qui assument la gestion d’un SIEG sont des entreprises chargées d’une mission de service public particulière… impliquant la prestation d’un service qu’un opérateur, s’il considérait son propre intérêt commercial, n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ou dans les mêmes conditions. Cette référence commerciale vise aussi à instaurer davantage encore de libéralisation des services publics en les poussant à devenir marchands ou à céder la place à des opérateurs privés poursuivant des buts lucratifs. En outre, elle fond les services sociaux dans le grand ensemble des SIEG, regroupant les transports, la fourniture de gaz, les télécommunications, etc… au risque de les rendre invisibles et de banaliser leurs spécificités.

En ce sens, le point 13 du même chapitre vise le monopole des services publics (terme pourtant jamais énoncé) prévenant qu’en dépit d’une telle fermeture du marché, il est possible de conclure à l’existence d’une activité économique lorsque d’autres opérateurs sont désireux et capables de fournir le service en question sur le marché concerné. On retrouve ici les principes mêmes de l’ordolibéralisme fondateur de la construction européenne et de sa conception-clé d’une économie sociale de marché en vertu duquel il faut faire confiance à l’initiative privée et au marché, la puissance publique ne devant intervenir que pour ériger des barrières juridiques empêchant la constitution de monopoles faussant la libre concurrence au sein du marché intérieur.

Dans la suite du texte, la Commission entend clarifier la distinction qui existe, à ses yeux mais sans force contraignante5, entre activités non économiques, lesquelles échappent aux compétences communautaires et activités économiques soumises, quant à elles, aux interprétations ultimes et ponctuelles des institutions de l’Union. Mais le point 15 reconnait que les traités ne définissent pas ce que l’on entend par activité économique, la jurisprudence fixe apparemment des critères différents pour l’application des règles du marché intérieur et pour celles du droit de la concurrence. Dés lors, il s’avère qu’une notion aussi centrale et déterminante en matière d’aides d’État qu’est l’activité économique ne procède d’aucun droit positif et reste soumise à l’appréciation idéologique et technocratique des services de la Commission bien loin du terrain et, éventuellement, à l’interprétation sui generis (au cas d’espèce) des juges de la Cour européenne.

À ce stade de la réflexion, il est utile de rappeler que la directive relative aux services dans le marché intérieur, dite directive « services », du 26 décembre 2006, a exclu les services sociaux de son champ d’application au motif que ces derniers n’étant pas fournis en échange d’une contrepartie économique ne sont pas des services économiques.6

 

3- La référence directe ou culturellement introjectée au marché et à la libre concurrence ajoutée à la méconnaissance des réalités d’exercice des pratiques sociales aboutit à des injonctions paradoxales, confuses et contradictoires.

Tout d’abord concernant l’exercice de l’autorité publique (chapitre 2.1.2), le texte indique que les activités qui font intrinsèquement partie des prérogatives de puissance publique et qui sont exercées par l’État ne constituent pas des activités économiques. Suit alors, à titre d’exemple, une énumération d’activités liées à l’armée, la police, l’organisation, le financement, l’exécution des peines d’emprisonnement, la sécurité de la navigation maritime, le trafic aérien, la surveillance antipollution mais d’où sont absents les services sociaux, lesquels, au premier chef, exercent pourtant bien une activité constituant une mission qui relève des fonctions de l’État ou qui est rattachée à ces fonctions par sa nature, par son objet et par les règles auxquelles elle est soumise (point 16). Exercer, dans un cadre associatif, une mission d’assistance éducative en exécution de la décision d’un magistrat pour enfant ou agir dans un service de protection maternelle et infantile (PMI) inhérent aux compétences de surveillance de la santé des nourrissons et jeunes enfants incombant au président du Conseil général sont, parmi d’autres, deux exemples soulignant l’inacceptable « oubli » ou la regrettable méconnaissance des réalités du terrain par les auteurs du texte. Ceux-ci semblent s’être bornés à ne citer que des exemples tirés de la jurisprudence de la Cour de justice, démarche, certes, prudentielle mais pour le moins fâcheuse car, au niveau européen, ce qui ne devrait rester qu’exemple, illustration, devient un critère, un élément de preuve limitatif… Ou, autrement dit, il faut du contentieux pour faire émerger une réalité!

 Cette ignorance est d’autant plus préoccupante que la communication s’intéresse davantage aux soins de santé (2.1.4) puis à l’enseignement (2.1.5), deux secteurs d’activité qui intègrent pour partie des services sociaux.

Concernant les hôpitaux publics (point 22), ceux-ci étant financés directement par les cotisations de sécurité sociale et d’autres ressources d’État et fournissant leurs services gratuitement à leurs affiliés sur la base d’une couverture universelle….les organismes en question n’agissent pas en qualité d’entreprises, même si les bénéficiaires paient une fraction limitée du coût du service. Dont acte mais alors pourquoi les services sociaux ne sont-ils pas, eux-aussi, assimilés à cette doctrine ? A fortiori si l’on tient compte du statut médico-social de nombreux établissements et services (IME, ITEP, etc..), en grande partie financés par l’assurance maladie de la sécurité sociale.

S’agissant de l’enseignement, la communication rappelle que la jurisprudence de l’Union a établi que l’enseignement public organisé dans le cadre du système d’éducation nationale financé et supervisé par l’État peut être considéré comme une activité non économique… car en agissant ainsi, l’État n’entendait pas s’engager dans des activités rémunérées mais accomplissait sa mission dans les domaines social, culturel et éducatif envers sa population (point 26). Là encore le social est cité mais son exclusion des activités économiques n’en est pas déduite pour autant. Ceci est incompréhensible, s’agissant, par exemple, des services relations-familles ou des SESSAD7 fonctionnant dans le cadre des internats ou semi-internats chargés de la scolarité d’enfants et de jeunes aux profils spécifiques, de surcroît lorsque les placements ont été ordonnés par voie judiciaire. Le summum de la contradiction est atteint lorsque la communication prend pour exemple d’activité non économique la décision de la commission du 25 avril 2001, laquelle concerne, en France, les activités d’éducation populaire et de prévention des écoles de football organisées dans certains quartiers par les clubs professionnels et subventionnées par des fonds publics.

 

4-Le chapitre 3.6 relatif à la sélection du prestataire de service renferme d’autres éléments confortant le caractère économique et les critères inhérents tels que l’incitation aux marchés publics ouverts et non discriminatoires (points 63-64), c'est-à-dire également accessibles aux opérateurs marchands, la sélection du candidat capable de fournir un service au moindre coût pour la collectivité (point 65), le dialogue compétitif (point 66), l’offre économiquement la plus avantageuse correspondant à la valeur du marché, c'est-à-dire comportant des critères définis de manière à permettre une concurrence effective qui minimise l’avantage dont jouit l’adjudicataire (point 67). Cette série d’injonctions d’essence commerciale n’est que très faiblement tempérée par la possibilité (et non pas l’obligation) laissée au pouvoir adjudicateur de définir des normes qualitatives ou de les prendre en considération (point 67). On est loin de la clause sociale horizontale affichée par l’article 9 du traité de Lisbonne.

 

  1. Propositions

 

 La communication de la Commission relative aux aides d’État octroyées aux SIEG, confirme, s’il le fallait encore, l’enracinement tenace dans l’idéologie libérale soumettant les fonctions collectives et par essence non lucratives aux règles de la concurrence et des marchés seulement modulées par une extension des dérogations figurant dans le paquet Almunia, lequel ne constitue, en réalité qu’une avancée en trompe l’œil.

Certes dispensées d’obtenir l’accord préalable de la Commission, les aides d’État sous forme de compensations octroyées aux services sociaux d’intérêt général (SSIG) doivent néanmoins passer par la condition impérieuse que ces derniers soient des services d’intérêt économique général (SIEG). Or la spécificité des services sociaux, leur historicité, les missions qu’ils sont chargés d’accomplir, les pratiques qu’ils mettent en œuvre, le cadre des politiques sociales fondées sur la solidarité et le pacte républicain, l’existence d’un droit de créance pour chaque citoyen, n’ont rien à voir avec des stratégies marchandes et lucratives, lesquelles constituent même un détournement des finalités sociales et une altération des pratiques si elles deviennent soumises à des impératifs d’efficacité financière.

Le corpus du droit communautaire comporte certains aspects, généralement celés ou ignorés, reconnaissant implicitement et parfois explicitement (par certains arrêts de la Cour de justice, par exemple l’arrêt Sodemare, en 1997, ou dans certaines décisions de la Commission), le caractère non économique des services sociaux. Ceux-ci devraient donc logiquement être (re)classés dans les services non économiques d’intérêt général (SNEIG), catégorie officiellement reconnue par le protocole n° 26 sur les services d’intérêt général (SIG) annexé au traité de Lisbonne. Or, dans la réalité, la catégorie des SNEIG est réduite aux activités d’enseignement et aux prestations de sécurité sociale8, deux exemples érigés en critères, tandis que, par ailleurs, la doxa européenne ne se réfère qu’aux instruments juridiques confortant la surdétermination économique de tous les services, à quelques exceptions près, alors qu’a contrario, il en existe d’autres.

 Les avancées pragmatiques concédées par le paquet Almunia, actualisant et améliorant les dispositions de l’arrêt Altmark, en 2003 puis celles du paquet Monti-Kroes, en 2005, sont parvenues à dégonfler la pression mise par des groupes institutionnels de lobbying tandis que la complexité et l’éloignement des institutions communautaires ont, jusqu’à présent, empêché une mobilisation suffisante des professionnels du terrain.

Le contexte de crise et les stratégies d’apurement de la dette souveraine réduisent les services publics dont les services sociaux à une variable d’ajustement, leurs financements étant de plus en plus contingentés par les collectivités territoriales en difficultés économiques. Dés lors, il est à craindre que par un jeu de défausses successives, la mise en œuvre des services soient confiée, grâce aux délégations de service public, pratiquement sans financements publics, à des opérateurs privés à but lucratif, lesquels à défaut d’un développement intensif misent sur la rentabilité d’un développement extensif par propagation progressive dans le champ de l’intérêt général. De nombreux projets de grands groupes d’affaires sont déjà dans les cartons, prêts, par exemple, à livrer des modèles de foyers résidences pour personnes handicapées mentales en kit.

Ainsi, en l’état actuel, les services sociaux sont coincés entre le haut communautaire et le bas lucratif, obligés de muter ou de disparaître ou seulement destinés à intervenir comme ultima ratio, dernier recours gratuit présenté comme service universel, c'est-à-dire service minimum, selon le modèle résiduel américain. Ou bien ils ne survivront que comme œuvres caritatives - la terminologie est déjà présente dans le langage communautaire - à l’instar des charities britanniques alimentées par le charity business et le mécénat. Que restera-t-il, alors, de l’État social ?

 Dans l’intérêt général, celui de la population et de chaque citoyen, cette funeste dérive doit être combattue. Dans la guerre économique qui sévit, il faut résister. Pour ce faire, nécessité est :

 

- D’informer par tous moyens les travailleurs sociaux sur la situation et les risques inhérents. Des éléments émanant des instances européennes déterminent leur quotidien de travail à leur insu et par-dessus leur tête, s’installant dans les politiques sociales et s’instillant dans la conscience et l’inconscient des opérateurs, à tous les échelons.

 

- De participer à la construction de groupes de résistance et fournir une autre élaboration de doctrine fondée sur la réalité des pratiques sociales et les besoins spécifiques des personnes accompagnées. En ce sens, il est indispensable :

 

* De poser deux principes, d’une part quant au caractère non marchand des services sociaux et, d’autre part, quant à la nécessité d’une refondation de l’État social.

 

* De progresser simultanément par trois voies : la première, clinique, démontrant l’impasse de la marchandisation et les effets pervers du management libéral. La seconde, économique, travaillant, avec d’autres, à l’établissement d’un État social ayant pour socle la valeur d’usage, concept d’économie politique abandonné au fil de l’histoire au profit de la valeur d’échange secrétant le profit. La troisième, juridique et politique, suscitant, preuves à l’appui, une modification essentielle du droit communautaire relatif au secteur social, éducatif et médico-social.

 

- D’interpeller les acteurs politiques au double niveau national et européen. Décideurs en dernier ressort ceux-ci doivent pouvoir asseoir leur volonté de changement positif, quand elle existe, sur des données spécifiques que les travailleurs sociaux pour ce qui concerne leur champ d’activité sont censés détenir mais qu’ils ne communiquent que trop rarement.

 

*Concernant les institutions communautaires :

 

- Le Parlement européen, co-législateur, a adopté, le 5 juillet 2011, une résolution sur l’avenir des SSIG. Le point 45 du chapitre consacré aux aides d’État demande une clarification des notions et une réforme des critères de classification utilisés pour distinguer entre SSIG économiques et SSIG non économiques. La majorité parlementaire d’alors, dépassant les clivages politiques, n’était, certes, pas encline à établir ce distinguo considéré comme une question non essentielle. Pour autant, la demande en a quand-même été officiellement formulée en direction de la Commission.

Plus récemment (17/10/2012), le rapporteur de la proposition faite par la Commission d’une directive sur la passation des marchés publics, le socialiste belge Marc Tarabella, s’insurge contre l’annexe 16 de ce texte, laquelle vise à ouvrir les services de sécurité sociale obligatoire au privé lucratif. Dans son communiqué de presse du 17/10/2012, l’eurodéputé indique notamment, que « privatiser la sécurité sociale, c’est condamner l’ensemble des mécanismes de solidarité collective dans nos pays. C’est aussi laisser le champ libre aux logiques de capitalisation…. ». Pourquoi cette juste remarque ne vaudrait-elle pas pour l’ensemble des services sociaux ceci d’autant plus que le même parlementaire affirme « qu’il ne faut pas fragiliser la mise en place et la gestion des services sociaux exercés par les États membres » ? 

Selon la présidente de l’inter groupe « services publics », la députée socialiste française Françoise Castex, la distinction entre services économiques et services non économiques est nécessaire mais celle-ci ressort des seules compétences de chacun des États membres. Pour notre part, nous sommes d’accord avec cette position quant à la compétence de chaque État pour définir les services économiques et non économiques de son ressort national mais à condition que la Commission n’entrave pas ni ne conteste, au cas par cas, cette liberté. D’où la nécessité d’un instrument juridique proactif dont le contenu devrait permettre de passer de la situation de suspicion actuelle à une aide préventive et sécurisante. C’est dans cet esprit que nous agissons, parmi d’autres, en tant que parties prenantes (skateholders).

 

- Le Conseil des ministres de l’Union européenne emploi, politiques sociales, santé et consommation (EPSCO), l’autre co-législateur, prenant appui sur le Comité de protection sociale (CPS) a lui aussi demandé à la Commission, en décembre 2012, de clarifier les règles européennes en matière de SSIG et d’expliquer comment classer un SSIG dans le champ économique ou non économique. L’arrivée d’un ministre délégué socialiste français devrait permettre à cette instance essentielle d’aller plus loin et autrement en la matière.

 

La réponse apportée par la Commission à cette double demande du Conseil des ministres et du Parlement, dans sa récente communication de décembre 2011 examinée ici s’avère, à nos yeux, comme très insuffisante et sujette à caution.

 

* Concernant l’exécutif et le législatif français, faut-il rappeler que le droit communautaire donne compétence à chaque État pour déterminer, organiser et financer les SIEG mais aussi les SNEIG. Pour ces derniers, le protocole n° 26 du TFUE annexé au traité de Lisbonne stipule même dans son article 2 que les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres pour fournir, faire exécuter et organiser des SNEIG. Alors pourquoi la nouvelle majorité issue des élections de 2012 ne prend-elle pas l’initiative de reclasser tous les SSIG français qui le souhaitent en tant que SNEIG ? Ce que l’Union européenne n’a pas (encore ?) voulu faire en prenant prétexte de la diversité des situations d’un pays à un autre, pourquoi la France ne prend-elle pas rapidement l’initiative d’une décision concernant tous les SSIG ne poursuivant aucun but lucratif ? En effectuant cette sélection, notre pays peut prendre le risque de braver un éventuel recours en manquement formé par la Commission. Cette dernière, peut, théoriquement, s’arcbouter sur la doctrine qu’elle prône de façon constante selon laquelle en tout état de cause, les États membres ne pourront pas considérer tous les services relevant d’un domaine, par exemple les services d’éducation, comme des services d’intérêt général non économiques9 mais cette affirmation n’ayant pas force juridique il n’est pas sûr que le juge la suive sur ce terrain glissant… De plus, ce volontarisme aurait l’avantage de mettre un terme au procédé de la patate chaude où chacun se renvoie l’initiative à prendre ! Et peut-être inciterait-il d’autres États membres à s’engager dans la même voie ?

 

Il n’est plus temps de rester l’arme au pied. Plutôt que d’être tétanisés par la situation actuelle, il importe, au contraire, d’agir pour qu’elle n’aggrave pas plus encore le sort des personnes défavorisées lesquelles sont, avant tout, des citoyens, des ayants-droit. Les transferts sociaux ont heureusement amorti de moitié le taux de pauvreté en France mais qui connait le taux d’efficience des services sociaux jouant un rôle fondamental dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale10 puisque les indicateurs du PIB ne les comptabilisent que comme des charges ?

 

À leur juste place, en prenant part et parti, les travailleurs sociaux doivent apporter leur pierre à la (re)construction de l’Europe sociale. S’ils ne s’occupent pas de l’Europe, celle-ci, par ses instances dirigeantes, s’occupe d’eux et des personnes aux côtés desquelles ils cheminent. Jusqu’ici, le résultat n’a pas été brillant, il risque, malheureusement de devenir pire, sauf si…

 

1 Travailleur social. Association MP4-Champ social.

 

2 Directeur de recherche C.N.R.S. Association MP4-Champ social.

 

3 Traité de fonctionnement de l’Union européenne.

 

4 On peut évoquer ici la notion de path dependence (littéralement la dépendance au chemin emprunté) utilisée en sciences politiques et économiques, soulignant le poids des choix effectués dans le passé et celui des institutions politiques sur les décisions présentes : voir L.Boussaguet, S.Jacquot, P.Ravinet : Dictionnaire des politiques publiques. Références-Sciences Po- Les Presses, pages 318 et suivantes.

 

5 Car une communication de la commission ne peut être considérée comme partie intégrante du droit de l’UE ni comme faisant partie du droit primaire (contenu des traités) ni comme constitutive du droit dérivé, lequel résulte de la somme des règlements, directives, décisions.

 

6 Voir le manuel relatif à la mise en œuvre de la directive « services » -2.1.2 les services exclus du champ de la directive, publié par la Commission en 2007.

 

7 Service d’Éducation Spéciale et de Soins à Domicile intervenant dans l’environnement habituel, notamment scolaire, d’un jeune.

 

8 La proposition de directive sur la passation des marchés publics présentée le 20/12/2011 par la Commission est intéressante à cet égard. En effet, elle a été présentée par le quotidien Mediapart, le 10/10/2012, comme permettant une privatisation des régimes de sécurité sociale. Cette interprétation a conduit le commissaire Michel Barnier à user de son droit de réponse, soutenant qu’il s’agit de « désinformation contraire à l’esprit des traités ». À lire le contenu de sa réponse, y apparait « la difficulté de la DG marché intérieur à manier la notion de SNEIG qui par définition lui échappe » et l’affirmation que « les États membres restent libres de fournir ces services à caractère social d’une manière qui n’implique pas la conclusion de marchés publics, par exemple en se contentant de financer ces services… ».

 

9 Voir manuel relatif à la mise en œuvre de la directive « services », page 11, ibid cité.

 

10 Communication de la Commission relative à l’application des règles de l’UE en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de SIEG, chapitre 1.1.

 

Par Roland Gori, à lire dans Libération