Les CMPP en grand danger - Yann Diener

Paru aujourd'hui 11 mars dans Charlie Hebdo

Lorsqu’un enfant ou un adolescent ne dort plus, ou ne mange plus du tout, ne sourit plus ou n’a plus envie de parler, lorsqu’il a des terreurs nocturnes, lorsqu’il ne peut plus ouvrir un livre alors qu’il s’en régalait la veille encore, lorsqu’il ne se remet pas de la mort d’un proche, lorsqu’il perd du poids alors que le pédiatre dit qu’il n’y a rien d’anormal – autant de choses qui peuvent beaucoup lui compliquer la vie –, il existe des lieux où il peut venir avec ses parents pour en parler, pour essayer de découper l’angoisse. Les centres médico-psychopédagogiques, les CMPP, font partie de ces lieux. Il y en a 300 en France.

En 1946, des psychanalystes avaient ouvert un premier centre psychopédagogique dans un lycée parisien, et c’est en 1963 que les CMPP ont été agréés par l’État, et pris en charge par la Sécurité sociale. Inscrits dans un réseau de partenaires exigeants, ces centres répondent à des demandes grandissantes, auxquelles font face les psychologues, les pédopsychiatres, les psychomotriciens et les orthophonistes qui y travaillent avec une conception non mécaniste du symptôme.

Une escroquerie en marche

Mais il se trouve que les agences régionales de santé, les ARS, entreprennent de détruire tout ça, dans un contexte de haine de la psychanalyse. Ça a commencé avec l’ARS Nouvelle-Aquitaine – mais on s’inquiète pour les autres Régions –, qui sans aucune concertation vient de demander aux CMPP de son périmètre de changer radicalement de pratiques, et de se transformer en « plateforme diagnostic et orientation des TND ». (Les TND, ou « troubles neuro-développementaux », ça n’existe que dans les circulaires des ARS : c’est un fourre-tout nosographique qui met dans le même sac les autistes et tous les « dysfonctionnements » à rééduquer.) C’est un diktat : un nouveau cahier des charges est imposé aux professionnels des CMPP, qui dans quelques mois ne seront plus autorisés à recevoir des enfants au-delà de la réalisation d’un bilan diagnostique.

Que s’est-il passé ? Il se trouve qu’Emmanuel Macron avait fait la promesse électorale de s’occuper des autistes. Alors les ARS sont sommées de faire quelque chose. Et comme aucun argent n’est débloqué pour créer les établissements dont les autistes ont effectivement besoin, les ARS vont détourner des structures considérées tout d’un coup comme luxueuses : les CMPP. Les enfants que l’ARS Nouvelle-Aquitaine, dans un texte affligeant et menaçant, considère comme des « troubles légers » sont invités à aller se faire voir dans le privé. C’est écrit noir sur blanc, et c’est malheureusement cohérent avec la politique néolibérale qui détruit le système de santé publique depuis vingt ans, et qui s’est accélérée avec le gouvernement actuel.

C’est une escroquerie en marche et, à moyen terme, c’est un ravage pour tout le monde : pour les prétendus troubles légers, qui, sans soins, ne resteront pas légers longtemps, mais aussi pour les TND, les autistes et leurs parents, qui seront très vite déçus1.

1. Des CMPP de Nouvelle-Aquitaine se sont constitués en collectif intersyndical (collectif.intersyndical.cmpp86@gmail.com), et invitent les familles et les soignants à exprimer leur mécontentement (ars-na-contact@ars-sante.fr). Une manifestation aura lieu le 13 mars à 12h30 devant l’ARS de Bordeaux, au 103 bis, rue Belleville. L’ensemble des CMPP de France et de Navarre ont intérêt à réagir très fort, par exemple en cessant le travail le 13 mars. Et puis, au fait, qu’en pensent les associations de psychanalyse ?

Par Roland Gori, à lire dans Libération