Le patient est une personne qui parle et qui désire

Actuellement, ceux qui résistent dans les hôpitaux et le médico-social se battent contre un nouveau fichier, le RIM-P (1), qui viole le secret professionnel. Les assurances auront accès à ces données. Aujourd’hui nous sommes dans l’ère des DSM (2) : le 5e ! Ce ne sont absolument pas des traités de psychiatrie et de recherche du fonctionnement psychique singulier, ce sont des manuels simplifiés de classification des comportements sociaux.

C’est ce qui conduit, par exemple un certain président, à considérer que les schizophrènes sont tous dangereux.

C’est ce qui conduit à parler d’« hyperactivité » quand un enfant est angoissé et angoisse son entourage, pour lui prescrire de la Ritaline (laboratoire Novartis) et refuser de l’écouter.

C’est ce qui conduit à considérer qu’un acte effectivement grave, comme un viol ou un meurtre, résume un sujet, et que la répétition d’un passage à l’acte tient de la responsabilité de ceux qui assument le risque de leurs métiers en écoutant et en soignant des gens qui vont mal.

C’est ce qui conduit à remplir des prisons pour rendre encore plus folles des personnes qui le sont déjà et rendre fous leurs geôliers… La multiplication des appels nous donne la lecture de ces pétitions comme les signes multiples d’une maladie de civilisation qu’il conviendrait de traiter au-delà de ses symptômes. Une civilisation qui hait toujours davantage la culture, la pensée, le langage. Une civilisation qui se passerait de l’homme, de ses a-normalités, de sa complexité sexuelle et de ses sublimations créatives, de son génie à la mesure de sa capacité barbare.

Les professionnels des secteurs du soin, de la recherche, du travail social, de l’éducation, de la justice, de l’information, de la culture sont touchés, blessés parfois à mort par la même logique qui commence toujours par une attaque narcissique méprisante : à quoi servez-vous ? N’êtes-vous pas privilégiés ? Vous savez ce que vous coûtez ? La porte est ouverte à la dé-qualification. On remplace les métiers par des tâches. Le projet de remise en cause des deux conventions collectives 51 et 66 qui concernent les métiers du social, du médico-social et une partie de ceux de la santé, en est la méprisable illustration. L’un des symptômes. Mais ce mépris ne concerne pas que les professionnels. Nous sommes pris dans une logique consumériste de l’immédiateté, de l’injonction d’une jouissance immédiate profondément mortifère, la négation de l’humain dans l’homme. Au nom d’une idéologie du profit et de la rentabilité, nous traçons l’homme comme une marchandise.

Alors comment allons-nous re-construire ? Un certain nombre de constats laissent penser qu’il y a au moins, dans les projets de loi, dans les décrets, plans de santé mentale et préventions de la délinquance depuis la loi 2002-2, de très importantes incohérences. Leurs effets sont dévastateurs pour les patients et pour les professionnels dans les institutions. En conséquence, un « quart de tour » est à faire à cette loi pour que le législateur respecte le patient en le situant non comme un objet de soin au moindre coût mais comme une personne qui parle et qui désire.

L’Appel des appels milite pour l’insurrection des consciences et veut s’inscrire dans la durée, remettre de la pensée en mouvement, de la création, du subversif. Ce sont ou ce seront les comités locaux, avec leur diversité, qui seront déterminants de l’avenir de ce mouvement transversal comme à Bordeaux, Toulouse, Marseille, Lille, Strasbourg, Brest, Bruxelles. Mais ça ne va pas de soi.

L’Appel des appels, un an plus tard, est connu comme un des points de ralliement, de croisement et de coordination des résistances. Le travail continue, il est double : transversalité et réflexion commune. D’abord, établir des liens concrets entre des activités qui subissent toutes la même normalisation professionnelle. Cela se fait dans les comités locaux et par toutes les alliances locales et nationales tissées entre associations, syndicats et collectifs.

Ce qui lie dans ce que nous vivons est plus fort que ce qui sépare nos activités spécialisées. Tout ce travail a été amplement et régulièrement relayé par les médias, radios, France Inter, Culture, RFI… ; télévisions, France 3, Canal Plus ; presse, le Monde, Libé, l’Huma, Marianne.


(1) Recueil d’information médicalisé en psychiatrie.

(2) Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder.

étienne RABOUIN

Par Roland Gori, à lire dans Libération