Le cri d’alarme des praticiens contre le démantèlement du secteur de pédopsychiatrie

Le cri d’alarme des praticiens contre le démantèlement du secteur de pédopsychiatrie, - Médiapart, 16/02/14, in «les invités de Médiapart» - :

Pour rentabiliser l’acquisition de l’Institut de Puériculture de Paris (IPP), en accord avec l’Agence Régionale de Santé, la direction du Centre Hospitalier Sainte Anne (CHSA) a décidé de rassembler, dès juillet 2014, les trois centres de consultation du secteur de psychiatrie infanto-juvénile du 14èmearr, dans cet institut imposant et excentré. A terme, en 2022, un « Centre Référence Enfance » dévolu à des soins pédopsychiatriques ambulatoires pour le Sud parisien, verrait le jour dans ce vaste bâtiment de 6 étages, sous condition du financement de sa rénovation. Pour l’heure, en juillet 2014, seront regroupées les consultations du secteur infanto-juvénile et des structures ambulatoires de psychiatrie adulte, sur site en l’état.

Pour nous, cliniciens de terrain, ce regroupement s’apparente à un démantèlement de l‘outil sectoriel mis à la disposition des familles du XIVème arrondissement. Ce secteur est organisé en ayant des lieux de consultations distincts tout en étant proches les uns des autres, lieux à taille humaine assurant la contenance et la sécurité nécessaires aux enfants suivis et l’accessibilité d’une offre de soins de proximité. Rompre ce type d’accueil de soins c’est acter la destruction, symbolique et réelle, non seulement de notre outil de travail, mais aussi d’un héritage précieux, celui du Professeur Michel Soulé.Le secteur du XIVème a été pilote en instituant un modèle pluriel autour de la Protection de l’Enfance, fortement implanté dans le tissu local. Démanteler ce secteur-là est comme le signe annonciateur d’une nouvelle politique globale de santé mentale

 

Nous ne pouvons rester silencieux devant la menace qui pèse ainsi sur l’offre de soins de proximité en pédopsychiatrie. Nous sommes dans l’obligation d’alerter les pouvoirs publics sur les risques encourus par la mise œuvre d’une telle politique de santé sur le territoire.

Seul un travail de terrain en partenariat avec les institutions de proximité (les écoles, les classes spécialisées, les PMI, les pédiatres, les services sociaux…) et les familles, peut permettre une prise en charge globale de la souffrance psychique de l’enfant et de l’adolescent. Le défi est de répondre au plus près et au plus juste, aux exigences réelles de la demande.

Un des engagements de Santé Publique des « 30 glorieuses » fut celui d'une psychiatrie pour tous, gratuite et dispensée au cœur de la Cité. L'implantation, dans les quartiers, de centres médico-psychologiques (CMP), structures conviviales, discrètes, de taille humaine, a validé la possibilité de prendre en charge la souffrance mentale loin des asiles. L’organisation ambulatoire de la pédopsychiatrie s’inscrit, en plus du soin, sur les axes de la prévention et de la protection de l‘enfance.

Pour chaque enfant souffrant existe ainsi un accueil de proximité discret et gratuit. La singularité de l'individu et son appartenance à une constellation groupale unique, sa famille, est au cœur de ce dispositif. Le travail pluridisciplinaire dispensé se fait au plus près du quotidien des patients. La valeur égalitaire et intégrative du lien social qui y est tissé réaffirme, également,

la nécessité d’une mixité sociale à préserver dans ces lieux de proximité.

Depuis plusieurs années, ce modèle unique français d’accueil de proximité pour tous est malheureusement, largement remis en cause. Il est gravement fragilisé par des logiques administratives et financières qui, par restrictions budgétaires, privilégient des plateaux techniques hospitaliers. En pédopsychiatrie, ces services hospitaliers ont d’autres missions.

S’ils sont indispensables pour certains parcours de soins, en apportant une expertise sur des points de diagnostic ou de thérapie de deuxième intention, ils ne répondent en rien à l’indispensable accueil sectoriel de première intention et de suivi.

Le débat actuel souffre d’un manque de clarté de la part des décideurs qui se veulent rassurants. M. Claude Evin, Directeur Général de l’Agence Régionale de Santé IDF, dans ses dernières recommandations de juillet 2013 ainsi que le député Denys Robiliard dans son rapport de décembre 2013, préconisent de « réaffirmer la légitimité et l’actualité du secteur : deux éléments clés sont à l’origine du secteur, la territorialité et un maillage serré assurant la proximité qui permettent une prise en charge optimale du malade. »

La proposition d’un secteur « rénové  par une charte commune de fonctionnement de tous les secteurs intégrant une meilleure accessibilité, un accueil d’urgence, des missions de prévention et de diagnostic renforcées » y est faite sans équivoque. Interrogée à ce sujet en juin 2013, Mme Natacha Lemaire, sous directrice de la régulation de l’offre de soins à la DGOS (Direction générale de l’Offre de Soins) souligne tout aussi clairement : « ce qui semble faire consensus, c’est que le secteur est une aire d’organisation d’une offre de soins de proximité. »

Pourtant, à l’échelle du territoire dans son entier, la situation, du point de vue des praticiens, est jugée critique sur le terrain : pénurie de moyens, lourdeur des situations, listes d’attente croissantes, mutualisation des moyens accélérée par la Communauté Hospitalière de Territoire, priorité budgétaire sur des projets hospitaliers « porteurs »...

 

A ce titre, ce qui se passe pour le secteur infanto-juvénile du XIVème arrondissement de Paris est emblématique. La perplexité et la grogne des équipes sont à la mesure des injonctions paradoxales qui émanent de la croisée de projets gestionnaires locaux et de recommandations politiques nationales. Qui protège véritablement les soins sectoriels de proximité ? la réponse est urgente à donner puisque :

Nous praticiens, constatons une augmentation constante des demandes de soins où s’entremêlent des problématiques serrées entre la souffrance psychique singulière de l‘enfant et l’environnement socio-économique et éducatif de sa famille. De surcroît, la mutation des modèles familiaux, la dégradation socio-économique des plus démunis, les nouvelles formes extrêmes de souffrance scolaire, majorent la complexité des suivis qui nécessitent plus que jamais l’implication attentive et compétente des équipes sectorielles appelées à prendre soin de l’individu dans sa globalité et dans son contexte.

Nous praticiens, défendons l’outil sectoriel incarné par ces lieux où se conjugue le recueil de l’intime, de l’individu, de la famille et des institutions. En faire l’économie c’est destituer ce dispositif de sa fonction de veille sur la Cité qui demeure un des indicateurs de santé de la République.

 

Pour ces multiples raisons, à la croisée du médical, du social et de l’éducatif, il est impératif que les praticiens du secteur amorcent une réflexion sur l’avenir de ce modèle de soins et convainquent les politiques de l’inscrire parmi les priorités de Santé Publique. En avril 2014 se tiendront les Etats Généraux de la Pédopsychiatrie, un rendez-vous à ne pas manquer pour initier des propositions concrètes. Mais rappelons que l’enjeu est également citoyen et politique. Les prochaines élections municipales offriront également aux familles l’occasion de participer à l‘avenir des structures de soins en santé mentale pour les enfants d’aujourd’hui et de demain.

 

Sandrine Deloche, pédopsychiatre.

Yann Diener, psychanalyste.

Véronique Durousseau, orthophoniste. http://collectif-14.e-monsite.com

 

Par Roland Gori, à lire dans Libération