Le CMPP de Givors presqu'un an plus tard

 

Givors, le 14 mai 2012

Bonjour à toutes et à tous,

 

Vous nous avez, plus d’une fois, sollicités pour connaître la situation du CMPP de Givors à ce jour. Vous nous dites que notre silence fait penser que la situation est préoccupante. Vous avez raison, elle l’est.

Le démantèlement contre lequel nous nous sommes élevés avec vigueur - et dont nous sommes fiers de l’avoir dénoncé tant ce qui se passe aujourd’hui nous donne raison – se déroule chaque jour sous nos yeux, confirmant nos craintes et infirmant les arguments de la direction.

Que s’est-il passé ?

Il y aura bientôt un an, OVE a décidé de modifier le contenu du travail et les missions du CMPP de Givors :

  Au nom de l’ARS1 avec laquelle un CPOM2 avait été signé. Or à aucun moment l’ARS n’a écrit que les missions thérapeutiques du CMPP devraient être en grande partie abandonnées au profit de l’évaluation des enfants et adolescents par des diagnostics de type neurologique et cognitif chiffrés.

Au nom de l’audit du CREAI mené par un psychologue et un sociologue, audit auquel nous nous sommes prêté avec confiance. Il devait montrer notre travail et analyser les besoins de la population que nous recevons. Les résultats comme la méthode - qui écartait ceux qui étaient en désaccord avec les points de vue de la direction - indignent l’ensemble des 14 salariés qui écrivent immédiatement au président et aux membres du CA de l’association gestionnaire ainsi qu’à l’ARS qui a financé cet audit à hauteur de 20000€. Nous découvrons de surcroît quelque temps plus tard le conflit d’intérêt3 existant qui finit par discréditer complètement cette opération, ses commanditaires et ses exécutants. Tous les protagonistes comme l’ARS restent totalement silencieux sur ce point gênant4.

Au nom des « convictions » de la direction concernant les neurosciences qu’ils opposent de façon grossière et manichéenne aux diagnostics référés à la psychopathologie psychanalytique et aux traitements psychothérapiques qui sont proposés par les pédopsychiatres, psychologues cliniciens, psychanalystes et autres praticiens du soin psychique au sens large. Des administratifs et gestionnaires qui n’ont jamais eu à pratiquer le diagnostic ou le soin font du débat nécessaire et passionnant entre scientifiques et praticiens un débat idéologique de managers en position de pouvoir qui décident en fonction de leurs idées et convictions.

Sur les 14 salariés de l’équipe en juin 2011, 3 décident de partir et 11 se mettent en grève dès septembre 2011 en dénonçant le repositionnement, son contenu et sa méthode et en absence de toute démarche de véritable dialogue. L’ensemble des syndicats présents à OVE nous soutiennent. Une pétition de soutien circule et obtient plus d’un millier de signatures.

Ce mouvement de grève de 11 salariés du CMPP a été suspendu en Janvier 2012. Les salariés sont revenus participer aux réunions dans l’espoir que l’ouverture promise par les contacts avec l’Agence Régionale de Santé et l’Inspection du Travail déboucherait sur une médiation. L’OVE refuse toute médiation et préfère démanteler l’équipe, son fonctionnement, sa cohésion et sa cohérence dans le travail en remplaçant progressivement les « résistants au positionnement » par des nouveaux salariés, supposés conformes à leurs nouvelles attentes. L’objectif est qu’une pensée unique puisse dominer et que le « repositionnement » du CMPP soit la concrétisation des « convictions » (au sens idéologique) de la direction. En effet, « convictions » remplace dorénavant aussi bien les « besoins de la population » que le concret de l’expérience et des connaissances et compétences. Nous avions dénoncé dans l’audit entre autres l’absence d’évaluation des besoins (pourtant écrite noir sur blanc dans le projet d’audit) et ce qui se déroule confirme que là n’était pas le but principal de ce repositionnement.

Le retour aux « temps des dinosaures » est-il inévitable ? Les convictions de la direction consistent à remplacer la complexité de la vie psychique et de la psychopathologie par « l’enfant neuronal ».

La Direction Générale de l’OVE, le Directeur Administratif et le Directeur Médical du CMPP seraient mandatés par l’ARS Rhône-Alpes pour cette restructuration du CMPP, qui, à les entendre, deviendrait un modèle de bonnes pratiques, telles que les Tutelles l’exigeraient. Loin s’en faut : il nous suffit de questionner des équipes de CMPP de la Région et de France pour avoir confirmation qu’il s’agit d’une reprise en main ayant bien d’autres motivations.

Du CMPP de Givors, doté dès sa création de moyens importants en personnel qualifié pour fonctionner en cohérence avec l’ensemble des besoins du secteur de pédopsychiatrie, il n’en est plus question. Puisque la convention entre le secteur de pédopsychiatrie (C.H. St Jean de Dieu) et l’OVE n’avait pas été formalisée par un écrit, « elle n’existe pas » selon OVE, donc, pas d’engagement de la part des gestionnaires du CMPP vis-à-vis du secteur sur l’utilisation des moyens ni sur la cohérence des dispositifs de soin. Point. Aucune réaction officielle des responsables du secteur, à notre connaissance, pourtant alertés et que les effets du repositionnement sur l’offre de soins inquiète sérieusement. Des familles nous rapportent que lors du premier contact téléphonique avec le Directeur Administratif, qui reçoit dorénavant les premiers appels, il leur est signifié « que le CMPP n’est pas un CMP et qu’ici aura lieu un bilan - évaluation et des tests ».

La réduction drastique des soins que nous avions dénoncée est un fait. Le profil des personnes embauchées par remplacer les démissionnaires vient et viendra confirmer que la compétence en psychothérapie et psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent n’est plus du tout un critère de sélection, si ce n’est pas déjà un « handicap » ! Il est en particulier demandé aux psychologues, dans le cadre du bilan, un « avis psychologique » dont l’effet réducteur quant à leurs missions, nous paraît manifeste. S’agit-il d’une mise au pli et au pas, à l’heure où une Circulaire Ministérielle du 30 avril 2012, relative aux conditions d’exercice des psychologues, vient rappeler l’étendue de leurs fonctions et responsabilités, tout en reconnaissant le temps FIR ?

Notre retour en réunion nous a permis de prendre la mesure de la déstructuration du travail et de la cacophonie ambiante. Le temps de réunion a été réduit d’un tiers, la concertation de l’équipe devant être faite en vingt minutes pour quatre situations cliniques présentées ! La mission essentielle est donc maintenant le diagnostic, avant tout neuro et cognitif, avec une vision bien pâle et bien pauvre de la psychopathologie.

Le temps de secrétariat, avec sa mission d’accueil si importante, a été divisé par deux, avec un morcellement de plus en plus profond de toutes les tâches et interventions. Les murs du clivage sont de plus en plus hauts entre les professionnels qui arrivent dans l’équipe et ceux qui étaient déjà en fonction.

Des réunions ont été émaillées d’incidents violents contre les ex-grévistes qui finissent par partir ; ainsi, quatre nouveaux départs sont annoncés en ce printemps 2012, ceux d’une orthophoniste, d’un psychologue, de la pédopsychiatre et de la psychomotricienne. Ainsi, en septembre 2012, ne restera-t-il que 5 salariés de l’équipe visée par le repositionnement, il y a tout juste un an ! Les ruptures de prise en charge s’accumulent, à côté des différentes listes d’attente. La capacité à proposer des soins psychiques s’amenuise clairement, le tableau des temps de travail de l’équipe marquant une réduction nette de la part accordée aux « psy » pouvant s’engager dans une prise en charge psychothérapeutique.

Nous sommes, pour quelques uns, encore là et déplorons le démantèlement d’un projet et d’une équipe qui avait été considérée trois ans auparavant par le même employeur comme susceptible d’être une référence pour le soin et la formation. Etant, pour la plupart, en contact permanent depuis de nombreuses années avec les partenaires institutionnels comme avec la population, il nous paraît être une grave erreur d’appréciation de vouloir modifier les missions de ce CMPP, dans ce secteur géographique de Givors. Après le « bilan », où et à qui adresse-t-on presque tous les enfants ? ...

Comme d’autres avant nous, nous n’avons pas ménagé notre engagement dans ce centre de consultations et de traitements. Ce fut un lieu de grande émulation et de recherche dans le travail clinique pluridisciplinaire où nous avons beaucoup appris et tenté de transmettre.

Un nouveau projet d’établissement s’écrit sans nous et ne tardera pas à être présenté. Nous risquons encore une parole d’alerte en direction des professionnels du soin, du médico-social et de l’éducation, des élus et des pouvoirs publics dont la responsabilité est indéniable.

C’est aussi, toujours, une parole d’appel au dialogue que nous adressons mais quelle place lui est-il réservé aujourd’hui ? Quelle place peut être accordée par OVE à la réflexion et à la concertation ?

Merci pour votre soutien et la diffusion de l’information.

Merci de nous adresser vos infos, vos idées ou vos critiques !

mouv.cmpp.givors@gmail.com

1 Agence Régionale de Santé, ex-DDASS

2 Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens

3 En effet, le DG d’OVE est également dans le Bureau de Direction du CREAI !

4 Nous apprenons par la suite que c’est une pratique de plus en plus fréquente que ces « audits » téléguidés et chèrement payés au service des intérêts des managers. L’avenir nous dira ce qu’il adviendra de la moralisation souhaitée de ces pratiques.

Par Roland Gori, à lire dans Libération