Lancement du dernier numéro de la revue "Tête-à-tête"

Librairie Goulard, 37 cours Mirabeau, 13100 Aix-en-Provence.

Le vendredi 23 novembre 2018 à 18h.

Éditorial du numéro

 

 

 

 

 

L’ivresse du verbe

 

 

 

En dépit de l’inépuisable richesse des langues pour dire le monde, il est des œuvres,

 

des paysages, mais aussi des moments et des situations qui nous laissent sans

 

voix : nous disons alors que nous n’avons pas de mots pour les exprimer. Mais si

 

nous pouvons légitimement être émus jusqu’aux larmes, avons-nous pour autant

 

le droit de déclarer que « les mots nous manquent », nous qui avons la chance et

 

la liberté de les maîtriser ?

 

Libre et généreuse est la parole des auteurs de cette livraison de Tête-à-tête qui

 

nous font l’honneur de bien vouloir réfléchir à la possibilité d’un nouveau verbe qui

 

porterait en lui une pensée-archipel, une île qu’entourent des territoires flottants

 

(Marco Godinho), une instabilité assumée, des sonorités (Tony Gatlif), une ivresse,

 

une musique (Elina Duni), une cartographie commune sans cesse réinventée, l’exil

 

mais aussi la nostalgie (Barbara Cassin), une ambiance (Jean-Paul Thibaud/François

 

Laplantine), un paysage (Ismaïl Bahri), des joies et des drames (Jean-Paul Mari),

 

des aventures individuelles, et, d’une rive à l’autre, l’échange toujours recommencé.

 

Cet échange, c’est aussi celui de l’entretien, cette forme un peu expérimentale que

 

nous explorons de numéro en numéro, comme on cabote de crique en crique dans

 

cette aventure éditoriale houleuse qui, à la manière du thème exploré, voudrait

 

aussi désigner un ethos, une manière d’être, une façon d’agir.

 

L’entretien c’est cette minuscule prise de risque, ce moment où l’on va à la rencontre

 

de quelqu’un qu’on ne connaît pas bien, qui nous intimide peut-être, ce lieu où

 

l’on ose une idée, on tente un geste, on montre ce qui parfois reste caché, enfin,

 

où l’on invente tout en parlant.

 

 

 

Alors, oui, ce mot, nous avons tenté de l’inventer et c’est un verbe :

 

méditerraner : vb. intr.

 

1) Ressentir un attachement profond aux rivages méditerranéens, s’y sentir chez

 

soi, vivre de cette contemplation, en éprouver la nostalgie. C’est sa façon de faire

 

du tourisme, il revient chaque année et passe ses étés à méditerraner.

 

2) Faire l’expérience conjointe de l’altérité et de la proximité, bricoler des identités

 

mouvantes. Habiter l’espace même de la frontière, le rendre perméable. Mar. Caboter

 

d’une culture à l’autre. Pour rejoindre Ithaque, Ulysse a longuement méditerrané.

 

Spé. Traverser, placer tous ses espoirs sur l’autre rive, migrer.

 

3) Fig. Penser le monde comme archipel. Refuser l’homogène, le rectiligne, préférer

 

le complexe, le discontinu. P. ext. Incarner ou propager cette pensée indépendamment

 

de son ancrage géographique.

 

Anna Guilló

 

Directrice de la rédaction

Par Roland Gori, à lire dans Libération