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La Convergence de psychologues en Lutte demande le retrait de la proposition de loi n°3851 visant à démultiplier les « centres experts en santé mentale » en complément de l’offre conventionnelle de la psychiatrie de secteur, et à étendre leur influence et leur autorité en les intégrant dans le Code de la santé publique et au travers d’un financement public.
Les principaux acteurs non concertés
De nouveau, cette proposition de loi a été déposée sans concertation avec l’ensemble des acteurs, praticiens et formateurs, du champ de la psychiatrie. La méthode employée ainsi que les promesses trompeuses qu’elle énonce suscitent de vives réactions.
Un modèle unique et idéologique, couplé à des intérêts économiques
Cette proposition de loi favorise un modèle bio-médical centré sur une approche diagnostique. Elle est fondée sur une idéologie neuro-essentialiste éloignée de la réalité des pratiques de soin, qui préconise des recommandations de méthodes restreintes et standardisées, en toute méconnaissance des besoins spécifiques de chaque patient et au mépris de la singularité de chaque situation.
Elle soutientun modèle unique d’« expertise » en santé mentale, avec une sorte de gouvernance scientifique et médicale confiée à une fondation de droit privé, la fondation FondaMental1. Elle instaure un monopole pour penser les parcours de soins en psychiatrie de secteur ce qui dévalue la formation comme l’expérience professionnelle de tous les soignants en psychiatrie.
Les « centres experts » renforcés sont censés couvrir huit pathologies spécifiques – troubles bipolaires, schizophrénies, dépression résistante, TSA sans retard intellectuel, conduites suicidaires, TOC, TDAH et TCA – dans une logique de filières diagnostiques segmentées, au détriment d’une prise en compte des besoins complexes des patients. Ils reposent sur l’idéologie d’une approche standardisée associant à chaque trouble une méthode thérapeutique supposée efficace et adaptée, avec un prosélytisme concernant certaines approches et une dévalorisation des autres, en toute ignorance des travaux scientifiques qui prouvent leur efficacité.
L’autonomie de pensée et de pratique des professionnels est fortement empêchée par une telle idéologie. Les pouvoirs publics se doivent de garantir la pluralité des approches et la liberté de choix des méthodes thérapeutiques qui font partie de la formation universitaire et professionnelle des praticiens, comme de garantir leur autonomie professionnelle auprès des patients.
La fondation FondaMental est par ailleurs animée par une logique de « data center ». Cette réduction et cette forme de contrôle social sont bien éloignées d’une prise en compte de la souffrance psychique des citoyens. Les patients sont réduits à une somme de données numériques et les soignants sont transformés en collecteurs de data. La visée d’un tel système est d’établir « un marché de la prédiction par des liens de corrélation algorithmiques et non de causalité », comme le dit Mathieu Bellahsen2, qui souligne la manière dont l’offre de soins publics est remplacée par la création d’un marché pour les entreprises de « e-santé mentale ». Ces dernières se présentent comme solutions à la pénurie, jouissant de facto de celle-ci et diminuant les coûts des services publics (la santé mentale étant qualifiée de « fardeau économique »3). Le service public est décrié, accusé d’être mal organisé (en réalité laissé à l’abandon) et peut ainsi être « vendu à la découpe aux startups de la mental tech », conclut Mathieu Bellahsen.
Les législateurs ont-ils vraiment perçu leur responsabilité dans le fait de permettre, en l’ancrant dans la loi, le franchissement des garde-fous en matière de collecte et d’utilisation des data en santé ? Les citoyens souhaitent-ils vraiment que leurs données soient colligées et utilisées par une fondation financée par des entreprises d’armement, de recrutement, des laboratoires, des cliniques privées et autres (Dassault, Manpower, Sanofi, Janssen, Clinea, etc.) ?
Un problème politique et éthique
La proposition de loi 385 pose un problème politique et éthique car elleparticipe, par la captation de moyens publics et en détournant le financement des soins réels, au démantèlement de la psychiatrie de secteur qui depuis des décennies œuvre au plus près des besoins de la population.
Implémenter des « centres experts » sans investissement massif dans les CMP, les équipes mobiles, les urgences et les structures hospitalières reviendrait à organiser une psychiatrie vitrine, pendant que les patients continuent d’attendre des mois pour accéder à un psychologue, un psychiatre ou un lieu d’accueil. Un tel modèle concentre les moyens publics sur le dépistage et la production de diagnostics – comme on l’a déjà vu avec les PCO – sans garantir un accompagnement réel, continu et pluridisciplinaire, et au détriment des structures qui assurent le soin quotidien.
Les retards de diagnostic ou de prise en charge ne sont pas liées à un déficit de savoir scientifique de l’offre de la psychiatrie de secteur mais au sous-investissement chronique et scandaleux de celui-ci. Sous couvert de complémentarité, c’est en réalité une hiérarchie contraignante des savoirs et des soins que cette proposition de loi organise, sans réelle justification ni assise scientifique.
Une promesse fallacieuse
Les promoteurs de cette proposition de loi annoncent 18 milliards d’euros d’économie, qui seront une source supplémentaire de dégradation du service public là où il s’agirait de le renforcer d’urgence.
En effet, l’argument majeur sur lequel repose cette proposition de loi, qui a pour objet de légitimer les centres experts, est une promesse de réduction de 50 % des hospitalisations. Cette promesse fait suite à une étude de la fondation FondaMental, étude dont les conclusions ont été fortement contestées. Les travaux récents de chercheurs indépendants4 montrent que :
ce chiffre provient d’une seule étude, limitée aux troubles bipolaires. Aucune publication scientifique n'a soutenu d'affirmations similaires pour les autres troubles dont s’occupe FondaMental et ses « centres experts » ;
l’étude en question ne comporte aucun groupe témoin, ce qui invalident ses conclusions hâtives ;
après analyse précise des données, la réduction des hospitalisations correspondrait en fait simplement à un retour à la moyenne due à l’évolution de la maladie, après une aggravation qui avait justifié l’orientation vers le centre expert, et la moyenne globale des jours d’hospitalisation n’aurait pas changé.
Malgré ces biais majeurs et cet « embellissement des résultats scientifiques »5, le chiffre contestable voire mensonger de 50% de réduction des hospitalisations a été massivement utilisé dans les dossiers parlementaires et dans la communication publique.
Une politique de santé mentale ne peut pas se fonder sur de telles données.
Un problème de démocratie sanitaire
L’étude scientifique précitée met également en lumière une activité d’influence structurée de FondaMental : tribunes cosignées avec des parlementaires, symposiums à l’Assemblée nationale, rencontres répétées avec élus et cabinets, partenariats industriels (pharmaceutiques, groupes privés de santé, start-ups), absence d’enregistrement auprès de la HATVP (Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique).
Une politique publique ne peut se décider sans consultations des principaux intéressés, et en suivant le seul avis de lobbies et d’experts qui ont des conflits d’intérêt majeurs – rappelons en effet que M. le Sénateur Alain Milon, promoteur de la proposition de loi, est un ancien administrateur de la fondation FondaMental, et que M. Frank Bellivier, délégué ministériel à la psychiatrie et à la santé mentale et soutien de tels choix politiques, est membre de la fondation FondaMental et responsable d’un centre expert à Paris.
Les pouvoirs publics doivent assurer auprès des citoyens, premiers financeurs de la santé publique, la transparence de leurs choix.
Cette proposition de loi ne garantit par ailleurs ni pluralité ni continuité du soin, et ni proximité géographique. Elle centralise une supposée « expertise », crée des banques de données et de diagnostics, mais n’améliore en rien les parcours de soin.
Les pouvoirs publics doivent essentiellement et de toute urgence garantir à la population des soins accessibles, continus et adaptés, et non engager des dépenses au service de dispositifs d’expertise dont les fondements scientifiques sont contestés et qui ne répondent qu’à des activités de lobbying.
Les 21 collectifs de la Convergence des Psychologues en Lutte, qui rassemblent 20 000 psychologues, demandent le retrait de cette proposition de loi 385.
1 « [Les centres experts] sont coordonnés médicalement et scientifiquement par la fondation de coopération scientifique dite "FondaMental" pour optimiser et valoriser leur savoir scientifique et médical et assurer une qualité et la sécurité des prises en charge homogène sur tout le territoire pour les patients. » (PPL n°385).
2 Intervention de Mathieu Bellahsen, psychiatre et Lanceur d’alerte, au forum contre le Projet de Loi n°385 du mercredi 3/12/2025, organisé par L’évolution psychiatrique.
3 Olivier Véran, ouverture du sommet mondial sur la santé mentale le 5 octobre 2021.
4 Gonon et coll., Advocacy by nonprofit scientific institutions needs to be evidence-based: a case study, SSM - Mental Health, Volume 7, June 2025, https://doi.org/10.1016/j.ssmmh.2025.100464
Par Roland Gori, à lire dans Libération
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