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Fin 2019 est apparu en Chine un nouveau virus qui n'allait pas tarder à déclencher une pandémie mondiale bouleversant nos modes de vie.
2020, avec son tempo de confinements / déconfinements fût une année éprouvante.
2021, semble continuer dans la même veine avec l’apparition des variants.
Cette expérience incroyable, qui espérons-le, aura une fin, peut être qualifiée de période de crise. Mais nous pourrions aussi l'envisager, malgré son caractère d'exception, comme un miroir grossissant, un révélateur, de ce qui était déjà là.
Et sans doute, cette crise peut-elle (devrait-elle) être aussi saisie comme l’occasion d’une réflexion réelle pour l’amélioration de nos systèmes de soins hospitaliers.
Au niveau de l'hôpital en général :
Cela fait des décennies que le service public hospitalier est détricoté à grands coups de logique de rentabilité, de loi HPST, de T2A, d'exigences de traçabilité du travail, de vampirisation du sens des métiers du soin, d'accréditation.
Ce que cette logique de quantification met à mal, c’est la qualité des soins ; car la seule « quantité d’actes » ne saurait être un critère acceptable et suffisant au plan éthique et déontologique, dans la mesure où il s’agit d’humains, les soignés mais aussi les soignants.
Les alertes des collectifs de professionnels sur cette situation datent de bien avant la crise Covid, au sujet des moyens en personnel bien sûr, en matériel, et au sujet de la reconnaissance salariale. Mais pas seulement car le besoin de redonner de l'âme à ces métiers choisis par vocation, de réinventer l'équipe, de reconsidérer le patient comme un sujet et non comme une marchandise.
La crise Covid a mis en lumière cette situation à l'hôpital : la pénurie bien sûr, mais aussi l'engagement et l’évidence que quand on décharge un peu les soignants de la lourdeur bureaucratique ils s'organisent bien mieux. Mais aussi que les vocations ont des limites et que nombre de personnels quittent la FPH.
Au niveau de la psychiatrie :
Si la situation s'aggrave tranquillement pour l'hôpital général, que dire de la psychiatrie ?
Depuis l'âge d'or de la psychothérapie institutionnelle et de la création des secteurs, où l'on considérait la folie avec respect et non pas comme un travers à rééduquer, où l'on considérait les soignants avec respect et non pas comme des exécutants interchangeables, où l'on avait le souci du travail pluridisciplinaire, de l'invention en équipe, de la formation continue à cette branche qu'est la psychiatrie qui n'est pas un service de médecine parmi d'autres, où l'on assumait sans honte que l'essence du soin n'y est pas technique mais relationnelle et, peut-on encore oser dire, où l'on travaillait avec le concept de transfert ?
Depuis ? Et bien nous assistons à une dégringolade de la qualité du soin en psychiatrie. Les contrôleurs des lieux de privation de liberté se succèdent pour constater toujours plus de recours aux traitements chimiques, aux contentions physiques. Là plus qu'ailleurs le soin perd de son sens, les équipes en souffrent, la formation à la spécificité du soin en psychiatrie n'est pas une priorité.
Pendant le premier confinement, la plupart des CMP (centres médico-psychologiques) ont été fermés, ceci se comprenant par rapport à la sidération devant ce nouveau virus et la nécessité de sécurité sanitaire. Lors des suivants, il n'en a plus été question. Et pour cause. Là encore, la crise a mis en lumière et démontré la nécessité de ces lieux d'accueils que sont les CMP. Lors des confinements suivants dans la balance bénéfices / risques entre sanitaire et psychique, le psychique a été sauvegardé. Et à raison, puisque les difficultés liées à la situation ont augmenté le recours à des soins psychiques.
Et les psychologues :
Pendant cette période, les psychologues de la FPH ont su s'organiser et faire preuve d’initiative pour intervenir dans les services selon les pathologies ; s'adapter à de nouvelles modalités de travail comme le télétravail ; proposer des permanences d'écoute pour les soignants et familles proches des malades… Les psychologues, comme les soignants ont été sur le pont et ont démontré qu’encore une fois non! ils ne sont pas des électrons libres mais des professionnels consciencieux et investis dans l'institution au même titre que les autres.
Avec la prolongation de la crise, et le confinement à rallonge, doublés des problématiques économiques, de nouvelles demandes sont apparues notamment au niveau des étudiants. Les psychologues en général ont été mentionnés comme personnes ressources pour faire face.
Cependant là aussi, la Covid a mis en lumière un problème déjà là. Les CMP sont désossés de leur personnel, soignants, mais aussi psychologues. Les listes d'attente aux longueurs absurdes ne datent pas de 2020 et la pression pour le choix d'un certain type de thérapies, si possible brèves, non plus. Les psychologues reçoivent les patients à la chaîne, mais ne peuvent répondre aux nombreuses demandes.
Ces constatations auraient pu aboutir à une reconsidération en profondeur de la politique de soins. Permettre un bilan pour refonder l'hôpital. Mais il semble que ce ne soit pas le projet. Et il pleut nombre de textes législatifs qui vont dans le sens contraire. Notamment pour la psychiatrie et les psychologues.
Mais reprenons les choses de façon chronologique.
Juillet 2020 : rapport de l'IGAS sur les CMP de psychiatrie générale et leur place dans le parcours du patient
Si ce rapport a le mérite d’une étude approfondie sur les CMP considérés comme le « pivot » de la psychiatrie ambulatoire, de la dénonciation de la disparité de l’offre selon les territoires et de la recherche de solutions, il n’en demeure pas moins que certaines propositions sont très discutables. Les auteurs connaissent l’histoire et font référence à la politique de secteur. Bien sûr il faut vivre avec son temps et savoir évoluer. Mais attention dans l’eau du bain il y a parfois un bébé.
Le rapport, comme d’ailleurs un précédent datant d’avant la crise, plébiscite le télétravail et utilise les aménagements liés à la crise pour faire la démonstration de son utilité. Attention ! Si le télétravail a été un palliatif intéressant pour la continuité des soins pendant le confinement, les acteurs de psychiatrie et les psychologues en particulier ont surtout mesuré l’importance du présentiel dans nos métiers. Compte tenu des pathologies dites lourdes bien sûr, pour qui les outils multimédias peuvent accentuer le délire. Mais aussi, et encore une fois c’est la crise Covid qui l’a démontré, parce qu’être seul chez soi avec des écrans peut être un symptôme (phobie sociale), devenir un facteur déclenchant de syndrome anxio – dépressif, comme pour certains étudiants.
Et il semble que les pouvoirs publics aussi aient compris les limites des téléconsultations puisque les CMP n’ont plus été fermés.
Notre code de déontologie le savait depuis longtemps puisqu’il préconise « la rencontre effective sur toute autre forme de communication à distance ».
Le rapport stratifie les pathologies en fonction de l’urgence et de la gravité des pathologies. Ses propositions vont vers une plateforme d’orientation pour le territoire, des équipes mobiles et un partenariat accru avec le libéral notamment pour les psychologues en « élargissant au niveau national l’expérimentation du remboursement des consultations de psychologues ».
Il se trouve que les CMP, quand ils sont suffisamment dotés en personnel font déjà tout ça. Ils accueillent rapidement et en présentiel, orientent en urgence si nécessaire et vers le libéral si c’est plus adapté. Et surtout accueillent sans « tri » aucun, ni de gravité, ni de revenu, ni de symptôme, ni d’âge, ou autre symptôme rédhibitoire, toute demande. Puis ils fabriquent en équipe pluridisciplinaire une proposition de soin adaptée.
Cette notion de tri selon la gravité est éthiquement très discutable et va à l’encontre de l’intégration des patients les plus en difficulté dans la cité. Les stigmatisant d’autant plus qu’ils seraient les seuls à aller se soigner à l’HP. Chez les fous ! Ce n’est pas parce que certains CMP ont recours au tri parce qu’ils sont obligés de fonctionner en mode dégradé qu’il faut en faire la règle.
A fortiori, les CMP devraient également pouvoir remplir leur fonction de prévention pour la population générale, et non les « trier » a priori.
Par ailleurs, et notamment pour les psychologues, le rapport préconise l’orientation vers le libéral des troubles légers, en glissant au passage la para – médicalisation, c’est-à-dire la prescription par un médecin pour le remboursement, ce contre quoi la profession de façon assez unanime s’est toujours battue.
Les psychologues sont en droit de considérer qu’après 5 années d’études spécialisées sur le psychisme, ils disposent de connaissances et de compétences sûres pour être à même d’évaluer avec l’expertise spécifique de leur profession, les besoins en soin des patients.
Février 2021 : rapport de la Cour des comptes sur les parcours dans l'organisation des soins de psychiatrie
Ce rapport, pourrait-on dire enfonce le clou. En insistant sur « la nécessité d’une approche graduée des troubles et de leur niveau de sévérité dans la mise en place de l’offre de soins ». Soit le triage sur la question du grave et du léger. Mais nous professionnels savons, que derrière le soi-disant léger peut se cacher une psychose pas encore décompensée. Et inversement d’ailleurs, qu’une crise tonitruante peut être passagère ou démonstrative. Cette finesse clinique évaluative ce sont les équipes de secteur qui la maitrisent. Nous savons qu’une dépression liée à l’isolement du confinement peut être en effet une dépression liée à l’isolement du confinement, mais qu’elle peut aussi masquer une psychose en train de se déclencher. Le confinement, au même titre que les stupéfiants, une mauvaise rencontre, une opération, l’accès à la parentalité ou autre… peut n’être qu’un déclencheur d’une pathologie dite « lourde ». Nous le savons. C’est notre travail. Et nous le travaillons en équipe. En revanche, est-ce de la compétence d’un généraliste ?
Concernant les psychologues le rapport est on ne peut plus clair : « généraliser dès que possible la prise en charge par l’assurance maladie des psychothérapies faites par des psychologues et prescrites par le médecin traitant ». Et là les psychologues disent : non ! Qu’on ne profite pas de la situation et du climat d’urgence pour nous fourguer en douce la para – médicalisation. Les psychologues savent travailler en équipe et avec les médecins et n’ont pas besoin de cette mise sous tutelle pour garantir la qualité de leur travail.
Alors bien sûr, le rapport parle de coût. Bien sûr une psychiatrie publique de qualité ça coûte cher mais c’est une psychiatrie publique de qualité. Et les économies de bouts de chandelles, on sait qu’au final ce n’est pas économique. Combien de pathologies soit disant légères reviennent en boomerang au secteur ? Combien de patients au bout du parcours remboursable de la thérapie brève ne vont finalement pas mieux et reviennent au secteur ?
Des moyens en personnel, en locaux et en formation pour la psychiatrie et les CMP, pivots de la psychiatrie ambulatoire, et le travail sera fait et bien fait ! Il n’est plus entendable, que face à la pénurie en personnel, on nous réponde systématiquement du côté de l’économie.
10 mars 2021 : arrêté relatif à la définition de l'expertise spécifique des psychologues
Là, l’image adéquate serait celle d’un coup de massue. Cet arrêté est tout simplement violent pour la profession et son code de déontologie.
Il est préconisé et ceci pour l’enfant de 0 à 7 ans « une évaluation fonctionnelle spécifique et personnalisée du fonctionnement adaptatif de l’enfant ». Adaptatif, l’idée générale est claire, les populations doivent être adaptées. On est loin d’une approche humaniste et généreuse de l’inadaptation comme souffrance, mais aussi éventuelle potentialité créative.
Les méthodes préconisées sont « les thérapies cognitivo- comportementales, de la remédiation neuropsychologique et cognitive et de la psychoéducation ».
Notre code de déontologie est clair « dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l’application des méthodes et techniques qu’il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule ». L’arrêté, dans la droite ligne des préconisations de l’HAS, disqualifie ouvertement les outils issus de la psychanalyse. C’est au psychologue de choisir ses outils. S’il n’y a pas lieu de disqualifier les outils neuro développementaux et thérapie brèves, merci de respecter la réciproque.
7 avril 2021 : proposition de loi visant à la création d'un ordre des psychologues
Ce texte semble sorti du chapeau comme une évidence liée au contexte et une demande de la profession. Alors, disons-le, il n’y a pas unanimité sur ce sujet. Loin de là.
Le texte commence plutôt bien « des milliers de jeunes, d’adultes ou de personnes âgées sombrent moralement après avoir été désocialisés, isolés et privés -pour certains- de liens familiaux. L’incertitude concernant l’emploi, le budget familial ou encore les perspectives d’avenir fait peser un lourd poids sur les épaules de la population. Nous connaissons les conséquences économiques, sociales et politiques des différents confinements : nous en découvrons désormais les conséquences psychiques ».
Après une telle introduction, on s’attend à la proposition de renforcer les moyens dans les CMP, éventuellement, à une réflexion sur des remboursements sans para – médicalisation dans le libéral.
Et bien non ! Ça enchaîne sur « c’est dans ce contexte qu’apparaît la nécessité d’une instance ordinale consacrée à la santé mentale afin d’échanger avec les pouvoirs publics sur les questions psychiques et psychologiques ainsi que l’évaluation et les conséquences des mesures prises en la matière ».
C’est sûr, c’est une urgence. C’est ce dont la population a besoin !
En ce qui concerne la communication, nombre d’organisations de la profession existent avec qui échanger. La pluralité des outils théorico-cliniques des psychologues sur le terrain n’est pas un obstacle, c’est une richesse dans l’offre de soin, car les différentes approches peuvent être complémentaires.
Le gouvernement se préoccupe du « grand flou autour des notions de psychologue, psychothérapeute, psychanalyste et psychiatre ». Pas si flou que ça en fait, surtout avec l’inscription ADELI.
Il s’inquiète aussi, en citant le rapport IGAS, de la formation initiale des psychologues. Qu’il précise : s’agirait-il de s’assurer d’un seul type de formation dans toutes les universités ? Et selon les préconisations de l’HAS ?
L’inscription dans le code de la santé publique en fait une profession de santé et réduit la portée de cette profession qui s’exerce dans bien d’autres champs (scolaire, éducatif, judiciaire…). Par ailleurs, concernant la dimension disciplinaire, le droit pénal existe.
Pour résumer :
Les psychologues, personnels plutôt discrets d’ordinaire pourraient être flattés de cet intérêt gouvernemental et de cette mise en lumière médiatique. Mais nous ne sommes pas les corbeaux de la fable. Et encore une fois, n’utilisons pas le climat de crise (qui se définit comme un moment qui impose des décisions), ni l’urgence pour faire passer ce qui ne voulait pas passer. Et, à fortiori, sans concertation avec les intéressés, pourtant les mieux à même de parler de leurs pratiques et de se positionner pour faire des propositions adaptées pour améliorer le travail mené auprès de la population.
Beaucoup d’entre nous le savent, le refoulé ça fait retour. Il manque un petit candidat à cette liste de questions concernant les psychologues. Alors devançons l’appel. A quand le retour du « N+1 », terminologie tout droit issue du management entrepreneurial, encore appelé « Coordinateur Responsable Supérieur », donc « CRS », ça ne s’invente pas ! Les psychologues de la F.P.H seraient organisés en service avec un psychologue chef ou cadre. La DGOS avait lancé une vaste expérimentation sur la structuration des collèges dans les établissements de la FPH et il en était ressorti clairement un attachement des psychologues au fonctionnement collégial et à la possibilité de s’organiser comme il leur convient selon les lieux. Soit, contre un modèle unique imposé.
Les psychologues hospitaliers de l’inter-collèges PACA signataires de ce texte sont contre :
La casse du service public hospitalier,
L’enterrement de la politique de secteur en psychiatrie,
La para – médicalisation des psychologues,
L’imposition de leurs outils et méthodes,
L’ordre des psychologues,
L’inscription au code de santé publique,
Le « N+1 »,
L’uniformisation de la formation initiale.
Les psychologues hospitaliers de l’inter-collèges PACA signataires de ce texte sont pour :
La prise en compte des enseignements de la crise Covid pour refonder un hôpital public digne de ses missions
La défense de la psychiatrie de secteur et de ses enseignements pour soigner humainement en psychiatrie
L’augmentation des postes notamment en CMP
Le respect de la profession de psychologue et la concertation élargie pour les points qui la concernent
Avril 2021
Collèges signataires :
CH Antibes - Juan les Pins, (06)
CHS Montperrin, Aix en Provence (13)
CH Digne Les Bains (04)
CH Dracénie, Draguignan (83)
CHI Bonnet, Fréjus - Saint Raphaël (83)
CH Buëch - Durance, Laragne – Montéglin (05)
AP-HM, Marseille (13)
CHS Edouard – Toulouse, Marseille (13)
CHS Valvert, Marseille (13)
CHS Henri Guérin, Pierrefeu (83)
Par Roland Gori, à lire dans Libération
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