Contre le démantèlement de la psychiatrie publique - contre le projet de loi N°385.

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Le problème

Comment faire passer une mauvaise décision gestionnaire pour une bonne décision scientifique (sans souci aucun pour la question sanitaire) ?

Après l’amendement 159 qui visait à exclure la psychanalyse du remboursement, un nouveau projet de loi s’attaque frontalement à l’organisation des soins psychiatriques, sous la forme d’une nouvelle réforme établie sans la moindre concertation ni avec les syndicats de psychiatre, ni les usagers, ni avec les professionnels du terrain. Cette proposition de loi No 385, qui a été déposée le 27 février 2025, va être discutée en séance publique le 16 décembre 2025. 

Il vise à étendre, sur tout le territoire, le nombre et l’influence des centres experts. Le texte justifie cette orientation en avançant la promesse d’une économie annuelle de 18 milliards d’euros, fondée sur l’hypothèse d’une réduction de 50 % des jours d’hospitalisation pour les patients ayant consulté dans ces centres.

Les centres experts en psychiatrie ont été créés en 2007 par la Fondation FondaMental et leur réseau s’est progressivement étendu pour couvrir, en 2025, 54 structures dédiées aux troubles bipolaires, à la schizophrénie, à la dépression résistante et à l’autisme adulte. Ils sont considérés comme de 3e niveau, c'est-à-dire non habilité à traiter les urgences psychiatriques. 

Dans ce texte le secteur psychiatrique est clairement attaqué et désigné sous cette série d’affirmations amalgamées : « l’accès tardif aux soins ne garantit ni une prévention satisfaisante, ni une prise en charge spécialisée par pathologie, ni une prise en charge des comorbidités somatiques conduisant à une mortalité prématurée pour les patients concernés. »

Il convient de réfuter ce texte qui s’appuie sur une vision réductionniste et faussée des soins psychiatriques en France.

Malgré leur promotion politique récente leur efficacité réelle reste controversée. Les seules données disponibles concernent les troubles bipolaires, deux études (Henry 2017 ; Laïdi 2022) souffrant de limites méthodologiques majeures : une absence de groupe contrôle, un risque élevé de régression à la moyenne et absence de preuve pour les autres pathologies. Aucune publication ne documente une réduction de 50 % des hospitalisations pour la schizophrénie, la dépression résistante, contrairement aux affirmations avancées par les promoteurs du dispositif. L’extension législative des centres experts repose ainsi sur une base scientifique fragile, ce que soulignent explicitement F. Gonon, F. Naudet et B. Falissard dans leur étude. D'autre part, le journaliste Stéphane Foucart dans le Monde daté 4 juin 2025 s'était fait l'écho de la communication de la fondation FondaMental, accusée par plusieurs chercheurs d’utiliser de manière trompeuse des données scientifiques pour promouvoir ses Centres experts en psychiatrie.

Les centres experts bénéficient d’un label valorisé, d’une visibilité médiatique forte et d’un appui politique évident. À l’inverse, les psychiatres de secteur exercent dans des conditions de plus en plus dégradées, marquées par la sous-dotation chronique, la diminution des capacités d’hospitalisation et la pénurie de soignants. Alors même que le secteur manque cruellement de moyens humains et financiers, la création de nouveaux centres experts ne fera que détourner les moyens dont a besoin le secteur. Le texte justifie l’augmentation des centres experts par la demande dont ils sont l’objet et un délai pour le premier rendez-vous d’environ deux ans. Le secteur psychiatrique et pédo-psychiatrique est lui aussi débordé par la demande mais ne peut sûrement pas se permettre d’avoir des délais aussi longs.  

Les centres experts revendiquent s’appuyer sur les progrès de la génomiques (données purement conjecturales pour le moment), sur le diagnostic par imagerie. Ces protocoles participent à imposer une vision de la psychiatrie fondée sur des données mesurables, réductibles à des biomarqueurs et des questionnaires standardisés.  Ce modèle médical qui voudrait imposer sa normalisation se situe à l’opposée d’une pratique de la psychiatrie fondée sur la rencontre, l’accueil de la subjectivité, l’ouverture à la singularité de la parole. 

Les centres experts fonctionnent sur un modèle de consultation ponctuelle, avec des bilans standardisés et des recommandations chimiothérapeutiques. Or, les patients ont avant tout besoin d’un accompagnement soutenu et d’une continuité de soins — ce que seule la psychiatrie de secteur est aujourd’hui en mesure de garantir, grâce à l’articulation de ses dispositifs ambulatoires et hospitaliers. Présenter les centres experts comme la voie d’un renouveau de la santé mentale relève de l’illusion. Un tel projet risque surtout de creuser la fracture entre une évaluation expertale centrée sur le médicament et le suivi réel, celui qui se construit dans la durée, au contact du patient, de son entourage et de ses difficultés psychiques et sociales.

Cette focalisation prioritaire sur les impératifs économiques, qui tend à se substituer à toute interrogation proprement politique, y compris dans le domaine de la santé, oriente désormais l’action publique. Or, le véritable courage politique consisterait à réaffirmer et reconstruire une psychiatrie publique engagée, celle qui a a démontré, depuis plus de soixante-cinq ans, sa capacité à répondre de manière adéquate aux besoins réels de la souffrance psychique pour l’ensemble de la population. Cette psychiatrie publique se trouve aujourd’hui menacée d’être remplacée par une « science » ajustée aux exigences de la rationalité néolibérale contemporaine. C'est ce que nous refusons. 

 

Par Roland Gori, à lire dans Libération