«Cocasse ? Allons donc, c’est le monde à l’envers», lâche un médecin gynécologue qui ne sait plus trop s’il faut en rire ou en pleurer. La situation est, en tout cas, loufoque. Mardi, la maternité historique des Bluets - établissement qui est la propriété de la fédération CGT des métallos - était en grève. Un mouvement avec une seule revendication : le maintien du… directeur, Thomas Lauret. Assez peu banal dans l’histoire du syndicalisme. Camarades, tous derrière le directeur ! Ce slogan prend un relief particulier dans cette maternité qui a une belle histoire. Avant, ne l’appelait-on pas la «clinique des métallos» ? Ouverte en 1947, elle se situait dans le XIe arrondissement de Paris, non loin du 94 de la rue Jean-Pierre-Timbaud, local de la fédération CGT des métallurgistes, intégrée dans l’association Ambroise-Croizat, qui gérait aussi trois centres de rééducation professionnelle accueillant «des stagiaires en reconversion contrainte pour raison de santé lourde». Ambroise Croizat, c’était une figure, un des ministres communistes de l’après-guerre à l’origine de l’assurance maladie. Bref, une naissance marquée du sceau de l’histoire du mouvement syndical.

Complot. Les années ont passé, les Bluets devenant un lieu apprécié. Récemment, pourtant, à l’heure des restructurations des maternités, les Bluets sont passés à deux doigts de la liquidation judiciaire. Mais l’établissement a passé le cap, déménageant pour s’installer à côté de l’hôpital pédiatrique Trousseau (XIIe). Et depuis, cela marche bien. Une maternité de 52 lits de bonne réputation, près de 4 000 accouchements par an mais aussi 1 200 IVG, les Bluets ayant toujours eu une forte vocation sociale, et un centre important et reconnu de procréation médicale assistée, avec plus de 1 200 essais annuels. Adossée à l’hôpital Trousseau, qui est doté d’une maternité de niveau 3 (incluant un service de réanimation néonatale), l’agence régionale de santé d’Ile-de-France voyait là un ensemble qui fonctionnait avec qualité. Mais pourquoi diable cette crise aujourd’hui ? «C’est incompréhensible, lâche un anesthésiste. Tout redémarrait bien.»

Certains, friands de complot, veulent y voir des règlements de comptes internes à la CGT, entre partisans et adversaires du nouveau secrétaire général, Philippe Martinez. D’autant que la compagne de ce dernier travaille dans l’une des structures de l’association. D’autres, plus prosaïquement, pointent la présence «d’une bande de pieds nickelés» qui dirigerait Ambroise-Croizat. Et ce petit groupe, pour des raisons non élucidées, veut le départ du directeur, le troisième en trois ans, qui a, de surcroît, le gros défaut d’être conseiller municipal (PS) dans le XVIe arrondissement. «Je ne crois pas au complot, je vois surtout beaucoup d’arrogance», lâche, diplomate, Virginie Gossez, déléguée SUD.

A la pointe du combat, elle ne cache pas sa perplexité dans ce conflit à front renversé. «Soyons clairs, on ne défend pas le directeur en soi, mais la stabilité et la compétence. Avec ce directeur-là, on pouvait être en conflit, et on l’a été, mais pour une fois, on avait face à nous quelqu’un qui travaillait les dossiers. Sur les dépenses, il bossait. Cela avançait. Il y avait une énergie positive, et c’est cela que l’on défend.»

N’y aurait-il pas assez d’espace entre l’association et l’établissement ? Ces trois dernières années, les trois directeurs n’ont fait qu’un petit tour. Thomas Lauret venait tout juste d’arriver, en septembre. Un pro. «C’est un vrai directeur, avec une formation, et non pas quelqu’un issu du milieu syndical, comme cela avait toujours été le cas. Il y avait un vrai climat de travail. L’ambiance était bonne, cela marchait, avec une direction efficace et bosseuse, on avait le sentiment que les difficultés de ces dernières années étaient passées», insiste un obstétricien.

Préavis. Dans ces conditions, pourquoi tout casser ? «On veut se séparer de Thomas Lauret, nous explique Anissa Chibane, qui dirige depuis peu l’association - elle était auparavant secrétaire départementale de l’Union CGT-Drôme. Nous avons des différends d’ordre stratégique, mais je ne peux pas vous en dire plus.» Tout de même, lorsqu’on l’interroge sur le soutien sans ambiguïté du personnel à son directeur, elle botte en touche : «Vous savez, tout le monde a des qualités.» On insiste, elle lâche : «On est dans un monde de restructuration, il y a un contexte de politique d’austérité.» Certes, mais pour la première fois, ce directeur avait mis en place un système de gestion, et le déficit ne s’élevait plus qu’à 400 000 euros pour un budget global de 22 millions. «Je ne peux pas en dire plus», conclut-elle.

Quand le personnel, syndiqué en majorité à SUD santé, a appris que le directeur devait partir, une seule réaction a émergé : assemblée générale puis vote d’une journée de grève le 21 avril. Mais comme rien n’est tout à fait classique dans ce conflit, la direction cégétiste de l’association a dénoncé cette grève, illégale, selon elle, pour des raisons de forme. Après quelques péripéties, un nouveau préavis est déposé pour le mercredi 3 mai. Une grève massive.

On en est là.«Je ne crois pas qu’il faille y voir la volonté de l’association de se séparer d’un directeur élu socialiste, analyse un historique de la maison. Mais l’association qui nous gère est dirigée par des gens qui ne connaissent rien. Il y a un vrai problème de compétence.» Et c’est ainsi que ce simple salarié se retrouve à défendre, non sans complexe ni ironie, son patron.

Eric Favereau