"Près de 600 patients en attente en psychiatrie" - Article de la revue Quebecoise Le Soleil

 

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Un suicide et une tentative de suicide sont survenus au cours du dernier mois chez des patients de la clinique externe de psychiatrie de l’Institut universitaire de santé mentale de Québec (IUSMQ). Bien qu’aucun lien ne puisse être établi, les deux désespérés étaient orphelins de psychiatre traitant, à l’instar de près de 600 autres patients de la clinique, a appris Le Soleil.

Le psychiatre Roch-Hugo Bouchard n’a «jamais vu ça» en 30 ans de pratique. Quelque 580 patients sans psychiatre traitant, c’est «un fond jamais atteint», «un non-sens», dit-il. «Ce sont des patients qui sont sous traitement, qui reçoivent des médicaments, mais qui n’ont pas de psychiatre attitré pour les suivre», explique le médecin en entrevue. 

Parmi ces patients en attente d’attribution d’un psychiatre : des personnes atteintes de schizophrénie, de dépression sévère ou encore de maniaco-dépression. Certains sont sous clozapine, un médicament qu’on prescrit en dernier recours pour traiter notamment la schizophrénie résistante, et qui peut avoir des effets secondaires sérieux sur le système immunitaire des patients. Ceux-là sont actuellement suivis par une infirmière chargée de vérifier leurs formules sanguines. D’autres patients ont des contraintes légales qui concernent spécifiquement leur suivi en externe, mentionne le psychiatre. 

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Selon le Dr Roch-Hugo Bouchard, une quinzaine de psychiatres auraient quitté leur poste au sein du CIUSSS de la Capitale-Nationale au cours des deux ou trois dernières années, ce qui explique qu’autant de patients se retrouvent aujourd’hui sans psychiatre attitré. 

Certains psychiatres sont partis à la retraite, d’autres, en congé maladie ou en congé de maternité. D’autres encore ont choisi d’aller travailler au privé ou pour l’armée, précise le Dr Bouchard. Et les psychiatres qui restent sont en situation de «surcapacité chronique». Selon le DBouchard, le recrutement serait «particulièrement difficile».

Le médecin déplore au passage qu’en plus des centaines de patients en attente d’un psychiatre traitant, on dénombre à Québec quelque 3000 personnes avec une maladie mentale qui sont orphelins de médecin de famille. 

Un plan de transformation «précipité»

Sans remettre en question le bien-fondé du plan de transformation en santé mentale du CIUSSS, qui concentre à terme les lits psychiatriques au CHUL et à l’IUSMQ et qui favorise le redéploiement des ressources dans la communauté, le DRoch-Hugo Bouchard estime qu’on a voulu «faire trop vite», sans consulter les instances concernées (le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, le Conseil des infirmiers et infirmières et le Conseil multidisciplinaire). 

Preuve que la fermeture de l’urgence et des lits psychiatriques de l’Hôpital du Saint-Sacrement était précipitée, l’IUSMQ est en «surcapacité», note le DBouchard. «Et l’urgence psychiatrique de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus a dû fermer la semaine dernière parce qu’il y avait trop de monde. Les patients étaient redirigés vers le CHUL», précise-t-il.

Sous financement

Le Dr Bouchard souligne que les budgets consacrés à la psychiatrie et à la santé mentale sont nettement insuffisants. Il rappelle que «la psychiatrie reçoit moins d’argent que la médecine physique» et que «le vrai nerf de la guerre, c’est le budget». 

«Comment on va faire pour traiter plus de patients à l’extérieur, dans la communauté, alors qu’on a déjà 600 patients connus en psychiatrie qu’on n’est même pas capable de suivre?» demande le psychiatre.

Dans une lettre ouverte qu’il signe avec plusieurs collègues, le DRoch-Hugo Bouchard s’inquiète de l’expertise des équipes qui se perd avec le déploiement du plan de transformation du CIUSSS, «dans un contexte où il n’y a pas de médicaments miracles, où le savoir-faire et l’expérience des intervenants font la différence vis-à-vis une bonne ou moins bonne évolution» de l’état des patients. 

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LE CIUSSS PREND LA SITUATION «TRÈS AU SÉRIEUX»

Le CIUSSS de la Capitale-Nationale dit prendre «très au sérieux» la situation des centaines de patients de la clinique externe de l’IUSMQ sans psychiatre traitant. 

«Il faut s’en occuper, c’est très clair», a convenu en entrevue au Soleil mardi le directeur des services professionnels du CIUSSS, le Dr Pierre Laliberté. 

Le Dr Laliberté confirme que les 580 patients orphelins le sont depuis le départ de leur psychiatre. Mais, selon lui, «ce ne sont pas des patients qui présentent le même niveau de besoins de soins». «Un patient peut être vu aux six mois, alors qu’un autre peut nécessiter des rencontres plus rapprochées avec un psychiatre. Ça dépend de leur état clinique, de leur diagnostic, etc.» explique-t-il.

Actuellement, 14 des 94 postes de psychiatres ne seraient pas comblés au CIUSSS de la Capitale-Nationale. «C’est un peu plus de 10 % de nos forces en psychiatrie qui ne sont pas disponibles, ce qui n’est pas négligeable», note le directeur des services professionnels du CIUSSS.

Le Dr Laliberté explique que des psychiatres ont été recrutés, mais qu’ils sont encore en formation et qu’ils n’arriveront donc pas «demain matin». «On en a deux qui arrivent d’ici la fin de l’été, mais on a d’autres retraites qui s’annoncent», mentionne-t-il.

Le gestionnaire indique que 2 infirmières spécialisées en psychiatrie s’affairent actuellement à réviser la liste des 580 patients orphelins «afin de hiérarchiser le besoin d’être vu plus ou moins rapidement». Ces infirmières peuvent ensuite faire leurs recommandations aux chefs de département de psychiatrie, explique-t-il.

«On s’assure que les patients les plus prioritaires vont être attribués à un psychiatre le plus rapidement possible. On a des patients qui, par exemple, doivent être traités selon une ordonnance de la Cour supérieure, qui doivent recevoir, au besoin avec la force, des injections une fois par mois. Il y a aussi des patients qui prennent des médicaments qui ont des effets secondaires et qui nécessitent des suivis plus serrés», illustre le Dr Laliberté.

Du reste, le CIUSSS sollicite ses psychiatres «pour qu’ils en fassent le plus possible». «La situation a été signalée au Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, dont la principale mission est de s’assurer de la qualité et de la continuité des actes. […] Un médecin ne peut pas simplement dire : je ne prends plus de patients, sans justification. Il doit avoir une raison», rappelle le Dr Pierre Laliberté.  

Par Roland Gori, à lire dans Libération