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Propos recueillis en novembre 2012
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Marianne : La loi Taubira concerne à la fois l'extension du domaine du mariage et l'application de nouvelles règles de filiations concernant les couples homosexuels? Les psychanalystes semblent très divisés concernant cette loi qui est débattue au parlement. Quelle est votre position?
Roland Gori : Il faut cesser d’instrumentaliser la psychanalyse. La psychanalyse est d’abord et avant tout une méthode spécifique mise en acte dans une pratique clinique et dont les connaissances proviennent de cette expérience. Et comme le dit Freud, ce dont on n’a pas l’expérience il faut le taire. Alors les psychanalystes qui s’expriment pour ou contre la loi Taubira sur le mariage gay ou l’adoption par des couples homosexuels, je ne suis pas sûr qu’ils aient beaucoup d’expérience clinique à apporter en la matière. Pas davantage que la psychanalyse sauvage des hommes politiques, ces spéculations psychologisantes autour des projets de loi ne possèdent de validité scientifique.
La psychanalyse n’est pas un guide des mœurs et un ensemble de prescriptions morales. Il faut rompre avec cette tendance des « experts » à idéologiser la psychanalyse ou tout autre mode de connaissance.
Concernant la loi Taubira les psychanalystes doivent d’autant plus être prudents que le mot « homosexualité » n’a pas le même sens dans le langage courant et en psychanalyse ?
Dans le langage courant, il s’agit d’un « comportement » concernant le choix d’un partenaire sexuel de même sexe ; en psychanalyse il s’agit non de ce que fait un sujet mais de ce qu’il est dans ce qu’il fait, c’est à dire d’une position psychique. Freud disait que « nul ne pouvait être tenu pour homosexuel en fonction de son choix d’objet ». Un homme peut se comporter comme un Don Juan et « consommer » sexuellement de nombreuses femmes tout en se révélant du point de vue psychique « homosexuel », pris dans un désir entièrement orienté par un désir pour des rivaux ou un défi à l’autorité paternelle. Il serait plus juste d’ailleurs de parler des homosexualités plutôt que de l’homosexualité.
Au début de la vie, l’être humain est bisexuel et ce n’est qu’au cours de son histoire qu’il s’identifie à un genre masculin ou féminin. Mais le féminin ne demeure pas le monopole des femmes, ni le masculin celui des hommes. Roland Barthes disait avec beaucoup de vérité que l’amoureux, l’aimant, est « féminisé non parce qu’il est « inverti » mais parce qu’il est celui qui attend ». Les deux cette confusion linguistique qui conduit abusivement à prétendre expertiser en la matière, je ne vois pas pourquoi en tant que citoyen je devrais m’opposer au mariage des homosexuels. Pour moi cette revendication culturelle, comme celle de l’homoparentalité, se révèle plutôt comme le symbole d’une révolution des mœurs. Cela veut dire que le mot « couple » ou le mot « parent » sont en train socialement de changer de sens, comme ils ont d’ailleurs changé de significations au cours des siècles précédents et selon les structures de parenté des sociétés.
L’anthropologue Maurice Godelier parle très justement à ce sujet de « métamorphoses de la parenté »...
C’est le mot juste. Je crois comme lui que l’humanité n’a eu de cesse d’inventer de nouvelles formes d’alliances et de parentés. Je crois que cette demande de reconnaissance sociale des couples
homosexuels et leur aspiration à l’adoption témoignent d’au moins deux choses : d’une part de l’augmentation croissante aujourd’hui des revendications des minorités quelles qu’elles soient, et d’autre part d’une laïcisation de plus en plus forte des institutions organisant l’existence des individus.
Cela veut dire à mon avis que la désacralisation du monde civil, son désenchantement religieux s’accroît et qu’en contrepartie de nouvelles figures s’imposent pour occuper ce vide laissé par la pulvérisation des figures traditionnelles de l’autorité. Sinon pourquoi y aurait-il un débat passionnel autour de ces questions ? Si ce n’est qu’elles mobilisent l’arrière-fond religieux des formes d’alliance et de parenté, qu’elles poussent en avant les questions laissées en suspens par l’effondrement des marques majeures de l’autorité. Donc en tant que citoyen et non pas en tant qu’expert je suis favorable au mariage gay et à certaines conditions à la possibilité de l’adoption.
Quelles conditions ?
Quand je dis à certaines conditions, cela concerne les homosexuels comme les hétérosexuels. Je pense par exemple que nous restons trop agglutinés aux anciens modèles d’une conjugalité organisée autour d’un noyau du couple papa-maman auquel les enfants s’agrègent, plus ou moins séparés du reste de la famille et à distance des autres relations sociales. Si la loi maintenait cette illusion et devait favoriser pour les homosexuels le déni de l’altérité, de la différence, alors pour le coup on serait plus que jamais dans le semblant et dans l’imposture. L’hétérosexualité du couple ne garantit pas en lui-même l’existence de différences constitutives comme les différences de sexe et de génération par exemple, elle n’est pas davantage une garantie de socialisation des enfants. On oublie trop souvent que Platon suggérait que pour favoriser la citoyenneté républicaine ce ne soit pas les parents qui élèvent leurs enfants…
La fameuse loi du père, qui a donné à l’idéologie psychanalytique ses plus beaux fleurons, est une fonction au sens quasi mathématique du terme, un ensemble de règles permettant des opérations qui ne sauraient se confondre avec les personnages chargés de l’incarner à un moment donné. Donc là encore, ce n’est que dans l’après coup de l’expérience clinique et au cas par cas que l’on peut dire quelque chose, et non en amont de cette expérience pour servir la soupe idéologique de je ne sais trop quelle cause.
Le débat autour de l'ouverture du mariage pour tous ne se situe pas uniquement au niveau de l'altérité des sexes mais également 4 au niveau de la parenté et de la filiation. Toute réforme du mariage doit être examinée au prisme de son impact pour tous les citoyens. Les effets de la réforme sur le Code Civil sont connus, mais sur les principes de la bioéthique, ils le sont moins. Doit-il y avoir selon vous une limite à imposer en ce qui concerne ces derniers? Etes vous favorable par exemple à la gestation pour autrui?
A partir du moment où vous voudrez bien admettre avec moi que les notions de couple, de parenté ou de famille ne sont pas des vérités naturelles et biologiques. Elles procèdent essentiellement
de transactions sociales et symboliques et il est évident que tout changement en la matière confronte à des problèmes éthiques. Simplement, ces problèmes éthiques, voire bioéthiques, ne doivent pas demeurer une affaire de spécialistes, faute de quoi on fabriquerait de l’imposture, mais que leur traitement doit faire l’objet de débats citoyens. Si nous voulons réinventer de nouvelles façons de vivre ensemble et de traiter ces problèmes éthiques, il est nécessaire de réhabiliter la parole, le débat et le récit des expériences de vie. Après quoi on pourrait toujours procéder à un référendum. Cela me parait d’autant plus indispensable que le système technicien aujourd’hui, accouplé à la religion du marché, menace l’humanité dans l’homme.
* Psychanalyste, fondateur de « l’Appel des appels », dernier livre paru : La Fabrique des imposteurs (Les Liens qui Libèrent), 21,50 euro.
Par Roland Gori, à lire dans Libération
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