L'appel des appels dans le monde

Voici un article du Monde du 18/09/09 où il est question de l'Appel des appels.

"En 1990, le Programme des Nations unies pour le développement adopte
l'"indice pour le développement humain", qui intègre le niveau de vie,
de santé et d'éducation. D'après ce classement, les Etats-Unis ne sont
plus en tête mais en quinzième place. L'Islande et la Norvège
deviennent des modèles à suivre. La révolution de la mesure est en
marche... Mais il manque encore une prise de conscience mondiale : la
crise financière.

Personne ne la soupçonne lorsque Nicolas Sarkozy annonce vouloir
réunir la crème des économistes d'avant-garde pour réfléchir à la
mesure de la performance économique, en janvier 2008. La crise va
donner une tout autre ampleur à cette initiative. Nicolas Sarkozy
parle de "révolution", promet d'en finir avec la "religion du
chiffre", s'engage à mettre les conclusions de ces économistes au
programme de "toutes les organisations internationales". Il propose à
ses partenaires européens de "donner l'exemple". C'est là que le test
commence. Car un homme se dresse sur le chemin de cette belle
ambition... le président français.

Comme Nicolas Sarkozy, le président français a une passion pour les
statistiques, mais quantitatives et au service de la productivité :
"Travailler plus pour gagner plus." Ministre de l'intérieur, il
supprime la police de proximité : pas assez rentable du point de vue
du "taux d'élucidation des affaires". Incités par des primes au
"résultat", les policiers multiplient les affaires faciles (contrôles
d'identité, arrestations de prostituées...) au détriment d'enquêtes
longues, sans résultat immédiat. Bilan ? La tension entre jeunes et
policiers augmente, et le "taux de violence sur les personnes" s'envole.

Devenu président, le même homme fixe un objectif chiffré en matière de
reconduits à la frontière, sans tenir compte de la réalité, ni du cas
par cas. Moralité, son ministre de l'intérieur, Brice Hortefeux, ne
pense plus à l'intégration qu'en termes de chiffres : un seul militant
UMP mangeur de porc et buveur de bière par région ! Au- delà, c'est un
"problème"... Les ministres sont censés être notés. Mais la
statistique ne doit pas "intégrer" les bons critères, car le ministre
de l'intérieur est toujours bien coté.

En matière de santé publique, le président français a voulu noter et
récompenser les hôpitaux en fonction de leur taux de mortalité... Ce
qui incite à se méfier des patients un peu trop mourants. Dans la
recherche, il faut remplir son quota de publications, au lieu de
chercher. Les services publics sont en voie d'être privatisés ou
affaiblis par des suppressions de postes massives. Encore un objectif
chiffré. Grâce à de nouvelles méthodes managériales fondées sur le
rendement, on "travaille plus pour se suicider plus" à France Télécom...

L'Appel des appels, un collectif réunissant les professionnels de tous
ces secteurs, supplie d'arrêter cette vision chiffrée, qui conduit à
la "destruction volontaire et systématique de tout ce qui tisse le
lien social". De fait, le bilan est sans appel. La France régresse au
classement fondé sur l'indice de développement humain.

"Nous avons construit une religion du chiffre. Nous nous y sommes
enfermés. Nous commençons à percevoir l'énormité des conséquences de
cet enfermement" : cette phrase n'émane pas de l'Appel des appels.
Elle a été prononcée par Nicolas Sarkozy au moment du prérapport
Stiglitz, au sujet de la crise financière...

Si cet homme parvient à convaincre le président français, alors oui,
un autre monde est possible.
"

Caroline Fourest
Article paru dans l'édition du 19/09/2009