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Pour les plus anciens d’entre nous, l’insurrection étudiante au Québec réveille de bien vieux souvenirs. Comparaison n’est pas raison. Il n’empêche.
Un sentiment trouble s’empare de nous, ravive une mémoire à fleur d’actualité, accroît l’espoir et éveille l’attention. Comme en Mai 68, c’est un événement en apparence mineur et bien localisé à la jeunesse étudiante qui déclenche les manifestations. Ici, l’augmentation des droits d’inscription, ailleurs l’exclusion de la Faculté d’un étudiant qui manifestait en faveur du Vietnam, précédée quelques mois plus tôt par une interdiction aux garçons d’accès aux résidences des filles.
Et puis, là bas comme ici, un traitement imbécile, purement administratif, technique et gestionnaire du symptôme, un manque total de lucidité politique. Là bas comme ici, l’ordinaire de la vie quotidienne s’arrête et la crise commence. La crise c’est quand le nouveau monde peine à naître et le vieux monde tarde à mourir. Alors comme dans une connivence involontaire, inconsciente pourrait-on dire, les représentants du « Vieux » Monde aident les accoucheurs du « nouveau » à mettre au jour une crise des « valeurs ». La hausse des droits d’inscription, les lois liberticides du gouvernement Charest, la désorientation et la brutalité des forces de police, conduisent à une nouvelle réflexion sur « le néolibéralisme ».
Une nouvelle génération entre en politique. Elle refuse un monde obsédé par la réussite individuelle pour construire une fraternité nouvelle, un monde ouvert dans lequel chacun puisse accéder aux savoirs et avoir sa place, un monde dans lequel l’ordre n’est pas assuré par la police, mais par le souci du bien commun.
Bien sûr, la crise que cette insurrection annonce, si elle se déroule selon la même logique d’une révolte contre la « religion du marché », ne procède pas des mêmes sacrifices, ne détruit pas les mêmes idoles, ne conteste pas les mêmes rites.
Les rites ont changé et les statues ont été remplacées. Hier, c’étaient les idoles de la société de consommation que l’on jetait à terre, les dignitaires de la société du spectacle et leur ontologie. Hier, les slogans chantaient que le fond de l’air était rouge et que l’on ne saurait perdre sa vie en la gagnant.
Aujourd’hui où l’on risque de la perdre sans la gagner, l’ethos n’est plus le même. C’est contre les valeurs d’un monde qui les traite en surnuméraires et en survivants que les représentants de la jeunesse se révoltent.
Ils refusent que l’universalité du progrès et de la raison passe par le canal des échanges marchands et financiers.
Ils refusent d’entrer dans l’avenir à reculons et exigent qu’on la regarde dans les yeux, que l’on rende des comptes sur l’état du monde et de la nature que nos sociétés leur laissent en héritage, pour l’instant sans testament.
C’est également les rapports entre les composantes culturelles du Québec, du Canada et des États Unis qui se trouvent ici émerger comme le symptôme d’une crise plus profonde des valeurs1. Alors comme le disaient les organisateurs du syndicat étudiant le plus radical : « Après plus de deux mois de grève, ils [les étudiants] réalisent que les droits de scolarité c’est la pointe de l’iceberg, de l’iceberg néo-libéral2 ».
C’est pourquoi nous appelons à signer un manifeste de solidarité et de gratitude envers cette jeunesse québécoise qui refuse de réduire la connaissance aux atouts d’une économie de marché.
Roland Gori Psychanalyste , Vincent de Gaulejac Sociologue , Barbara Cassin Philosophe , Evelyne Sire-Marin Magistrate, syndicaliste , Marie-José Del Volgo, Médecin
1 Pierre Joly, « Manifestations étudiantes au Québec : de « l’enfant-roi » au porteur du rêve », Libération du 11 juin 2012.
2 Texte de la Maison Saint-Jacques (Montréal), site de l’Appel des appels http://www.appeldesappels.org/
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