Le soin psychique au XXIème siècle

Le texte de Nathalie Georges aurait dû trouver sa place dans le volume collectif de L'Appel des appels, pour une insurrection des consciences, paru au mois de novembre 2009, pour lequel il avait d'ailleurs été rédigé. Un malheureux dysfonctionnement informatique a empêché de l'y faire paraître. Nous corrigeons très partiellement ce dommage par la publication électronique de ce texte pour le coup inédit.


Le soin psychique au XXIème siècle, par Nathalie Georges



En ce moment où la puissance publique ne néglige aucun moyen de faire savoir combien elle s'inquiète à nouveau des dérives sectaires, elle ne saisit pas le point d'où elle risque de trouver à des maux certains des remèdes plus nocifs encore. J'ai aperçu dans une manifestation récente une petite pancarte. Conçue sur le modèle de ceux qui ornent les paquets de cigarettes depuis des décennies maintenant, elle affichait : « Trop de sécurité nuit ».

Qu'est-ce qu'une secte ? Quel est l'impact de ce mot sur chacun ? On ne recommandera jamais assez la lecture ou la relecture de la nouvelle de Borges intitulée « La secte du Phénix ». Ce que nous enseigne l'écrivain se tient à la hauteur de la découverte freudienne : il dit dans son style inimitable, ce que les nounous ont toujours su, car cela commence à la crèche : la grande et vaste secte, la seule et la vraie, c'est l'espèce humaine dont la politique est entée dans le rapport discordant du sujet à son image et au langage. Politicus, il s'assemble, malentendu, il cherche à s'affranchir. Quelle est cette maladie qui est en germe dans l'espèce humaine ?

L'épisode que nous vivons est cette tentative folle de prodiguer à tous en masse des soins. L'économicus tend à surpasser le politicus, le global se substitue à l'européen et celui-ci au national.

Nos principes



La salutaire parabole de Borges nous rappelle que ce coup de dé de l'artiste n'abolira jamais la contingence de la mauvaise rencontre avec le prochain, celui qui ne vous veut pas du bien. Ou pire, qui, du bien, vous veut, ou vous en veut. Notre principe est de lire, avec l'attention la plus aiguë, la masse de documents que nos gestionnaires conçoivent et publient, et veulent appliquer aux dites pratiques de soin psychique. Il s'agit de ne pas entrer dans le détail de ces mesures.

C'est l'enjeu du « soin psychique » : avec quel sérieux, sinon celui de la série, c'est-à-dire du cas par cas, peut-on traiter ce ratage fondamental qui peut tourner au ravage ?

Ladite expertise collective de l'Inserm portant évaluation de trois approches de psychothérapies (téléchargeable sur internet) a franchi une frontière qui est celle de l'authentique recherche en psychanalyse, en appliquant au dit soin psychique des méthodes d'analyse impropres à cet objet.

La gestion des masses, la répartition des individus en cohortes de populations avec groupes témoins, rencontrent leur limite scientifique en ce qui concerne le soin psychique. Quelles que soient les économies réalisées par la mise en place d'accueils protocolisés de la souffrance psychique, il doit toujours être possible de faire appel à d'autres procédures.

L'exigence est grande, en effet, puisque la liberté du sujet de « choisir son psy » n'est pas sans le risque de tomber sur un dit « mauvais ». La question se déplace donc à l'éthique, puisque le bien et le mal reviennent hanter les laboratoires où le mental ferait l'objet d'une hygiène toujours plus efficace et performante.

Les enjeux sont donc de formation des psychothérapeutes. L'appel des appels a « pris » sur un terrain déjà travaillé par quatre années de vigilance « Psy ». La concurrence est réelle, dure, mais elle a le mérite d'exister. Que serait une situation de monopole indexée sur le chiffre d'affaires des fabricants de psychotropes ?

Le 28 janvier 2006, soit deux ans après le premier Forum des Psys convoqué à Paris par Jacques-Alain Miller, l'association des Psychologues freudiens et l'InterCopsycho organisaient une journée d'études à Paris pour lire et critiquer le rapport de l'Inserm sur le Trouble des conduites et la prévention de la délinquance. « Trouble des conduites dans l'Inserm » en était le titre.
De nombreux citoyens ne se sont pas trompés, quand ils ont signé un par un, la pétition intitulée Pasde0deconduitepourlesenfantsdetroisans lancée quelques semaines plus tard : des pédiatres et des psychologues l'ont initiée, des assistants sociaux, des éducateurs, des infirmiers, certes, mais bien au-delà, des instituteurs, des orthophonistes, des psychomotriciens, et encore au-delà, des mères, des pères de famille l'ont relayée et continuent à le faire. Le site de ce mouvement vigilant est vivant. On y recense les tentatives de nos gestionnaires de faire entrer la statistique dans un domaine qui y répugne par principe. Mais qui parle ici de principe, et de quel droit ? L'enjeu est ici, « sociétal ». Quel traitement voulons-nous pour le malaise individuel produit chez les plus fragiles ou démunis ou malchanceux d'entre nous, quand le malaise de la civilisation ne cesse d'augmenter ? Voulons-nous incriminer cette fracture entre « eux » qui nous gouvernent comme ils peuvent (et souvent sans savoir que c'est impossible) et « nous » qui pâtirions de leurs actions ? Le paradoxe de la démocratie étant que « eux », nous les avons élus. Ce n'est pas dire que nous leur avons délégué le droit de penser et d'agir à notre place.

Quel est donc ce nouveau « nous » ?



Il me semble que ce nous est composé de celles et ceux qui ont l'idée que les pouvoirs de la parole sont au fondement et à l'épreuve de chaque vie humaine, dont aucune ne ressemble à aucune autre. Telle est la base sur laquelle Freud a édifié sa découverte de l'inconscient, qui l'engagea à renoncer à tous les artefacts qui entraveraient la manifestation des effets de la parole sur ses malades rebelles à tout traitement médical. Le caractère pathogène d'expériences précoces, comportant un excès de sensations ou d'excitations corporelles, dans lesquelles la parole ou le silence, en excès ou en défaut, sont également impliqués, pressenti sans doute depuis toujours par des médecins avisés, fut mis en évidence dans ces premières cures verbales baptisées bientôt psychanalyse. À partir de ce commencement, l'élaboration théorique et la pratique clinique n'allaient plus cesser de se modifier l'une l'autre, non sans la passion qui est le sceau de la recherche authentique. Ce qui reste de ces vagues successives est une constante, et cette constante est une question qui ne cesse pas d'insister : quelle langue pouvons-nous mettre en jeu avec notre patient qui lui permette de construire les points d'appui qui lui ont fait défaut et d'assumer sa responsabilité dans le monde ? Que signifie pour celle-là, pour celui-ci « parler » ? Qu'est-ce qui nous permet de tenter l'aventure, car c'en est toujours une, seul avec notre patient et la parole ? Devrons-nous avoir recours aussi à un traitement médicamenteux ou à d'autres formes de mise en jeu de la parole ? Comment procéder à un diagnostic aussi précis que possible sans rogner rien de la subjectivité irréductible de celle ou celui qui s'adresse à nous ?

Un malentendu radical



Où commence la maladie psychique, et qui en décide ? Qui a l'autorité pour dire à quelqu'un qu'il lui faut se soigner psychiquement ? De quoi celui qui offre de tels soins s'autorise-t-il ? De son diplôme universitaire ? De son génie propre ? D'un savoir-faire qui reste caché ? De toujours la médecine a fait mouche par des mots, dit Lacan dans son texte intitulé « Télévision ». Le même Lacan prononça, en son temps, la maxime dont ses adversaires prirent argument pour dévaloriser son enseignement : « le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même ». Il faut, certes, s'arrêter assez sur cet aphorisme, son contexte et ses attenances théoriques si l'on veut en sonder le fondement. Déjà les pouvoirs de la parole sont tous mobilisés : j'ai dit que c'était un aphorisme. Mais si c'était une intimation ? Une intimidation ? Une maxime d'imposture ? et cela peut être tout cela. Il n'y a pas, en l'espèce, de garantie absolue de formation, et sûrement de transmission du sens d'un message sans déperdition et autres déformations. Il n'y a que des semblants qui, rigoureusement ordonnés dans des travaux exposés en bonne logique, tiennent en haleine la communauté des pairs, et provoquent sa critique.

Or, voilà que depuis quelques années, une littérature d'expertise, faite de méta-analyses, a pris position dans un champ jusqu'alors confié à toutes sortes de cliniciens et thérapeutes. Le développement des neurosciences et leur application très problématique à la clinique ont modifié ce champ. En même temps, la reconfiguration de tout notre système de soin et de santé nous fait sentir ce qui sous-tend des choix idéologiques peu explicités.
Le souci d'efficacité de traitements résultant des avancées des neurosciences est à l'origine de ces études nombreuses qui appliquent à la « matière psychique » (oxymore qu'il en est) des méthodes de laboratoire. Mais qui se prête aux expériences ? Qui applique les protocoles ? Où sont les limites de la curiosité d'une part, et de l'efficacité de l'autre ? Ici encore, les %oe%uvres d'art nous enseignent. Orange mécanique ou Full métal jacket de Stanley Kubrick (assez expert aussi en matière de secte avec Eyes wide shut) nous disent mieux que toute méta-analyse les ressorts du désir de conditionner l'autre, celui qui n'est pas comme moi.

Eric Laurent dans Lost in cognition , cerne la fracture qui séparera toujours les neurosciences de l'expérience psychanalytique, en tant que précisément celle-ci repose sur une faille que nulle découverte scientifique ne peut combler. Maintenir non pas cette faille, qui existe et n'a pas besoin de nous, mais une signalétique qui oriente les sujets vers elle, qui est la ressource de leur inventivité la plus intime, est ce devoir que se font les psychanalystes. Ils trouvent des alliés ce faisant, en la personne de savants indépendants qui, un par un, comme Jean-Didier Vincent ou Denis Noble , font entendre combien balbutiantes sont encore la génétique ou la neurologie, et abusives beaucoup de leurs applications dans le domaine du soin.

Le rapport de chacun à son semblable se double, en effet d'une relation tout autre à son prochain. Qu'il s'agisse de gouverner, d'éduquer ou de soigner, c'est cette relation ambiguë qui est au c%oe%ur de la pratique en question. Dans quelle mesure celui ou celle que j'éduque ou soigne, à qui j'impose mon gouvernement, est-il comme moi, ou tout autre ? Et moi-même, ne suis-je pas, parfois, pour moi-même un étranger ? Dans quel malentendu ai-je intégré les phonèmes, les mots, la grammaire de ma langue maternelle, dont j'éprouve chaque jour, qu'elle est un véhicule précaire et défaillant pour faire entendre ce dont je doute, exprimer ce que je souffre, faire savoir ce que je crois ?

Ma complaisance ou ma fascination pour les savoirs nouveaux me feront serf de ces expériences coûteuses ou de ces molécules prometteuses qui se répandent dans la société et dont on parle.

Parler à quelqu'un... Qui n'a éprouvé les limites de l'exercice, ou ses méfaits. Il n'est pas vrai que parler fasse toujours du bien. Le langage, ce partenaire difficile à saisir, je dois l'avoir appréhendé dans ma propre formation en tant qu'il me loge comme sujet et m'a fait partenaire d'une langue qui m'a parlée avant que je ne la parle. Or, ce qui a valu pour moi, échappe au traitement statistique. C'est pourquoi le psychothérapeute formé avec l'exigence freudienne qui implique qu'il se soumette, lui et sa vie psychique, c'est-à-dire son fantasme et ses symptômes, au processus de la parole librement associée dans laquelle peut se lire le texte inconscient qui définit le programme de sa vie d'être sexué et parlant. Cet inconscient se réduit à un chiffre, irrésorbable dans le calcul général, mais sériable avec d'autres de même provenance.

À cette expérience, les procédures de comptabilité des actes qui se sont introduites à l'hôpital, à la faveur de éditions successives du DSM supposé d'un maniement pratique sont parfaitement réfractaires. Sous l'appellation PMSI, un codage succinct des diagnostics et des actes était destiné à se substituer à la littérature clinique faite d'études de cas, de comptes-rendus de séances ou d'enseignements tirés des pratiques de supervision, destinés à produire des travaux dignes d'être exposés et critiqués dans la communauté des freudiens qui sont à la fois praticiens et chercheurs. Là encore, la langue, soit cet instrument capable d'informer la parole et l'écrit d'un sujet était réduite à des items préformés, supposés pouvoir servir des recherches futures.


Primum non nocere



C'est ainsi que le Dr René Diatkine entamait le premier séminaire auquel j'assistai, au Centre Alfred Binet, il y a exactement trente ans. Il l'assortissait d'un autre principe : rester vivant. Rester vivant avec les enfants turbulents ou même déchaînés (ainsi parlait-on, en ce temps-là, de nos enfants) le temps que la pulsion se lie aux mots, que les mots consentent aux enchaînements de la grammaire du sujet, que cette grammaire s'ordonne au grand malentendu tel qu'il sévit entre les êtres parlants.

Le soin psychique... l'expression en elle-même n'est-elle pas déjà impressionnante ? Un petit dessin humoristique dit bien la chose, en campant face à face deux bambins. L'un d'eux s'adresse à l'autre :

je vais te pincer

je vais te faire tomber

je vais te casser les deux jambes,

je vais te tuer,

Je vais t'expliquer !!!!


Prévention et formation



Pasde0deconduitepourlesenfantsdetroisans, revenons-y un instant.
Une pétition citoyenne, face à des dits experts. Ce face à face malheureux, stérile, est un indice de la difficulté à s'orienter dans la civilisation moderne, gouvernée par un impératif de jouissance qui a un pouvoir de ravage. Le citoyen versus l'expert. Le profane contre le clerc, l'ignorant contre le supposé savoir... mais c'est la dialectique même du sujet qui s'exposant ainsi, s'ignore et veut recourir aux moyens du pouvoir, là où c'est la liberté du sujet qui est précisément en question. Effacer le nom de Freud est à peu près aussi efficace que l'acharnement de Pinocchio sur le grillon parlant, à moins que l'homo scientificus n'ait le projet, dans son folamour pour l'espèce humaine et son génie propre, de produire une mutation décisive vers un homme sans conscience, ou, du moins, n'ouvre grand les portes à une nouvelle ségrégation en facilitant le conditionnement des masses paupérisées, et la promotion de la jouissance des élites...mais quelles sont ces élites qui braderaient la pensée ? Cela s'est vu, et les choses vues ont cette tendance bien connue des freudiens à revenir, sous des guises variées... Tel est le savoir que la discipline freudienne véhicule, un savoir qui n'a pas d'autre prix que celui dont son détenteur a voulu s'acquitter, s'étant chargé d'une dette à l'endroit de son humanité ironique et incomparable...


Premier malentendu : le profane versus le spécialiste



L'exigence intellectuelle et morale de la formation freudienne n'en fait pas pour autant une affaire de spécialistes. Bien au contraire. Offerte au tout-venant, elle ne s'impose qu'à celle ou celui qui s'en trouve touché.
On me dira : mais quelle est la part de la suggestion dans cette rencontre d'un qui souffre avec un autre qui campe dans la posture du supposé savoir ou pire, du supposé pouvoir guérir ? Certes. C'est pourquoi la discipline freudienne est solidaire d'un pluralisme, d'une saine concurrence entre les pratiques et leurs théories, les méthodes et leurs applications, à charge pour chacun d'en exposer les ressorts publiquement. La clinique freudienne a le souci de traiter les souffrances du sujet parlant, et elle a démontré, par son efficacité que ce souci n'est pas un vain mot. Elle n'en reste pas moins scientifique en s'enseignant des échecs qu'elle n'a pu éviter et des impasses qu'elle rencontre, dont elle s'évertue à faire, justement, des passes nouvelles. La clinique freudienne a fait de la suggestion son objet, et du tempérament de jouissance susceptible d'être tissé dans la parole sa visée.

Le savoir qu'elle comporte et sur lequel elle repose est un savoir en gestation, nouveau d'être mis en question dans des cures qui, jusqu'alors, n'avaient pas encore eu lieu. Chaque nouveau cas est une réserve de savoir pour la théorie, qui peut s'en trouver tout à fait chamboulée, et remise en chantier.


Deuxième malentendu : le cas versus la statistique



Si ce n'est pas là de la science... La science telle qu'elle s'est développée et transmise jusqu'à nos jours n'a-t-elle pas toujours procédé ainsi, de l'hypothèse pointue, survenue par hasard, en un point de la planète, dans un cerveau génial, elle a gagné un auditeur attentif, un grand esprit puissant, dix adversaires haineux, et de difficulté en obstacle, a gagné du terrain jusqu'à faire la preuve de son efficacité et de ses limites.

La psychanalyse, bien que très jeune dans l'histoire des civilisations (un peu plus de cent ans..., c'est le berceau !), a cette ambition de demeurer là où son fondateur l'a entée : dans le réel de l'âge de la Science avec un grand S. Elle en est l'ombre, solidaire et critique, mais aussi la raison, puisqu'elle met à découvert dans son laboratoire les arcanes du désir et de la jouissance de l'être parlant. Elle est sa limite éthique. Or, l'éthique ne se prescrit pas, ni ne s'achète, ni n'est remboursable. En ce sens, un État de droit fait une démonstration de sa bonne santé quand il en tolère l'exercice, que dis-je, tolère, quand il le respecte et en défend l'existence et l'exercice légal, sous la garantie de l'exercice de ses juridictions de droit commun, bien sûr.
Mais si la psychanalyse comporte la psychothérapie parmi ses capacités, la réciproque n'est pas vraie.


Troisième malentendu ledit patient versus ledit expert



Le renfort que donnent la suggestion ou la tendance à se soumettre au maître les nouvelles techniques promues par lesdites culture de l'évaluation et démarche qualité trouve sa limite dans l'expertise produite par le patient lui-même, soit qu'il témoigne de ce que fut sa cure analytique proprement dite, soit qu'il parvienne à ressaisir et augmenter ses ressources et à les déployer dans une pratique personnelle, soignante ou non.

Concevoir une guérison en « matière psychique », c'est s'assujettir à quelque chose de spécifiquement humain qui s'appelle un délire : en quelle langue, en effet, attester de ladite guérison ? dans quel délai ? Un vertige nous saisit quand nous apercevons les man%oe%uvres et autres trafics de statistiques, dès qu'il s'agit de prouver l'efficacité d'un protocole ou d'une molécule. Les scandales sont suffisamment nombreux, qui démontrent les malfaçons dans les enquêtes, les obscurités qui demeurent dans l'exposé des résultats pour que l'on se dispense d'entrer ici dans le détail. Ce dont il s'agit, en effet, c'est de souligner l'efficacité redoutable de la méthode : elle vient à vous, l'évaluation, pour vous extorquer votre savoir, et le retraiter en chiffres et programmes qui le dénatureront absolument. Elle vient à vous sournoisement pour vous imposer son langage, son tempo, sa modestie trompeuse, sa pseudo simplicité.


La notion de soin se rencontre spécialement au début de la vie, dans ce moment où la prématurité du petit d'homme s'impose à l'entourage et le submerge parfois, éveillant en celle et celui qui l'ont conçu les traumas de leur propre enfance. Nulle grille préformatée ne permettra jamais à quiconque de se retrouver dans le dédale de ses identifications et de ses pulsions refoulées. Le recours à la métapsychologie freudienne, telle que cent années de travail continu l'ont modifiée sans en trahir la l'esprit, s'impose pour établir en tout cas ce qui en fait la singularité et l'enseignement. Qu'il s'agisse de l'anorexie d'un nouveau-né ou de l'expertise d'un passage à l'acte, unique ou en série, c'est la psychanalyse qui est aujourd'hui à même d'en construire la logique et d'en extraire le savoir nécessaire. Francesca Biagi-Chaï l'a montré pour le cas Landru avec autant de rigueur que de finesse : ce qui a manqué à Landru, ce n'est pas la compréhension humaniste d'un semblable pour son malheur, mais l'intelligence du mécanisme de sa psychose, et de la place déterminante de son invention d'une part, de sa famille de l'autre, ce qu'était Landru pour lui-même restant voué à demeurer voilé à jamais.


Conclusion



« Il ne faudra pas compter sur nous ». C'est à un écrivain, encore, que j'emprunte un bien dire. Ainsi Jean Paulhan s'exprima-t-il, pour demander au politique de faire son travail, tout son travail certes, mais rien que son travail. Il ne faudra pas, dit-il en substance, compter sur les écrivains pour renoncer à ce qui les fait écrivains au profit d'une activité politique ès qualité. Il ne faudra pas davantage compter sur nous pour nous faire les supports et les véhicules de ces nouveaux instruments de conditionnement psychique précoce que sont le Dominique interactif ou les protocoles Fluppy et Cie si intelligemment présentés dans le documentaire de Marina Julienne et Christophe Muel, « Enfants, graine de délinquants ». Déjà nous accueillons ceux qui souffrent des effets de prescriptions médicamenteuses précoces, destinées à calmer l'hyperexcitation d'enfants en souffrance , qui n'ont pas encore rencontré quelqu'un qui puisse supporter leur angoisse précoce.

On pourra compter sur nous, en revanche, pour contribuer à organiser et répandre une formation continue et permanente, une critique raisonnée des pratiques, des lieux de lectures-débats, des conversations cliniques, sur le fond d'un principe intangible : il ne peut y avoir de soin psychique bien ordonné que dispensé par qui s'est voué à cerner le ressort de sa vocation thérapeutique.

C'est encore à un écrivain, Ferdinando Camón, que je laisserai cette fois le mot de la fin : il y a certes des névroses et des psychoses, mais il y a, les surmontant et les supportant, « la maladie humaine » , incurable par définition. Autant d'individus, autant de variations sur ce thème. Entre clones et robots, notre incurable humanité se cherche des avatars immortels et des thérapeutes incorruptibles. Rester solidaire d'un certain savoir, affine à la saveur de la vie, n'est pas nécessairement ringard. C'est le pari freudien en tout cas.