De l'évaluation et du livret de compétences scolaires

Le fondement de l'école est d'aider les enfants à devenir des citoyens libres et éclairés, selon les valeurs héritées des Lumières, ce qui a été rappelé sous plusieurs formes lors du forum de l'Ecole Publique, Laïque et Populaire qui s'est tenu à Montpellier le 27 mars 2010. Ceci ne peut advenir qu'en respectant les rythmes de développement et d'apprentissages de chacun, et comme le préconise Hubert Montagner , ancien directeur de recherches à l'INSERM, en réorganisant la journée scolaire pour mieux l'adapter aux rythmes biopsychologiques de l'enfant.

C'est pourquoi, dans ce cadre, l'évaluation me paraît être avant tout une DEMANDE SOCIALE (je dirai presque qu'elle est extérieure à l'école). Quel était son but jusqu'à présent ? Repérer les futures « élites » de la société ? Si ce but pouvait paraître légitime à quelques-uns, il se double aujourd'hui d'un autre beaucoup plus inquiétant : essayer de repérer les « éventuels troubles » et autre « dys » de l'enfant qui laisseraient à penser qu'il pourrait devenir un jour «un délinquant », dangereux pour la société . J'y reviendrai.

Quant à l'évaluation, la question immédiate qui se pose est : « qu'est-ce qu'on évalue ? » La réponse est : avant tout, DES CONNAISSANCES au sens large. Car si on évalue autre chose (des comportements, des loisirs, des aptitudes sociales, familiales, des appartenances à des associations, voire à des associations en lien avec groupes ethniques, religieux), - c'est la volonté du livret de compétences présenté dans le B.O. n°1 du 07 janvier 2010 - c'est tout de suite problématique, car on touche aux notions d'égalité et de laïcité. Oui, mais diront certains, le degré de connaissances des enfants est déjà « inégalitaire » selon le milieu social et culturel de l'enfant. Pourquoi ne pas prendre en compte, ces compétences « extrascolaires » qui valoriseraient les élèves les plus en difficulté ?

Premièrement, comme le dit Eveline Charmeux, professeur honoraire à l'IUFM de Toulouse qui a aussi participé au forum sur l'Ecole Publique, Laïque et Populaire , « un mauvais élève n'est point un élève qui ne sait rien, c'est un élève dont l'école méprise ou ignore les savoirs ». D'où le travail du professeur de faire émerger ces savoirs, mais aussi d'en apporter d'autres élargir le cercle des connaissances - (et non, je ne renonce pas à l'idée qu'un des rôles majeurs du professeur est la transmission : nous sommes des passeurs des savoirs hérités des générations précédentes, que nous nous sommes appropriés et que nous transmettons aux générations futures) en mettant les élèves en situation de recherches et de résolution en groupe, dans lesquels ils s'aident les uns les autres, développant ainsi très tôt la solidarité . Deuxièmement, ce qui ne relève pas des « connaissances strictes» n'était jusqu'à présent pas « évalué », ne faisait pas l'objet d'une note ; les remarques concernant le comportement dans chaque discipline en collège par exemple étaient réservées exclusivement aux appréciations dans les bulletins, pas plus ; ce qui ne veut pas dire que la communauté éducative n'en tienne pas compte: le comportement général de l'élève dans l'établissement, ce qu'on sait de lui, de sa famille, ce qu'il nous dit de lui et de sa famille, de ses goûts, de ses loisirs, de ses difficultés, de ses réussites, de ses envies, de ses projets est pris implicitement en compte, mais il est de l'ordre de l'INTIME, il appartient aux relations intersubjectives entre le professeur et l'élève ou entre un membre de la communauté éducative et l'élève et il ne doit être en aucun cas divulgué à l'extérieur de l'établissement et encore moins « fixé » dans une base de données, comme le voudrait la circulaire qui institue le livret de compétences !

On avait fait un premier pas dans l'évaluation des comportements en 2006 avec la note de vie scolaire , on en franchit un plus grand avec le livret de compétences en 2010qui sait si le fait d'appartenir à une association juive ou musulmane répertoriée dans un livret électronique ne sera pas réutilisé un jour contre l'enfant

Troisième problème, évoqué précédemment, est celui de « la fixité », pour ne pas dire du « déterminisme ». L'enfant est en devenir, il n'a pas « achevé » son évolution, son développement, il a donc droit de changer Je pense en particulier, à une des sous-compétences du pilier 6 du socle commun, repris dans le livret de compétences de fin de 3° et qu'il faudra valider pour avoir le Brevet en 2011 . La compétence 6 s'intitule « compétences sociales et civiques » et une des sous-compétences se décline ainsi : « connaître et respecter les règles de la vie collective ». Pour moi, c'est problématique, car beaucoup d'élèves enfreignent ces lois (bousculade, injures et autres comportements inciviles), mais cela ne veut pas dire qu'ils deviendront des citoyens non respectueux des autres plus tard. C'est même en enfreignant ces règles qu'ils les assimilent, la communauté éducative les leur rappelle par toutes sortes de biais : c'est de l'éducation et non de la prédiction et du conditionnement .
Alors plutôt que d'évaluer des éléments extrascolaires et des comportements, il me semble plutôt urgent de repenser les modalités d'évaluation des connaissances et aptitudes scolaires dans le sens d'une valorisation et d'une mise en avant des réussites des élèves et surtout, d'une valorisation des réussites dans les processus d'apprentissages construits sur le vivre ensemble.