Intervention de "Sauvons la la statistique publique !", lue par Cécile Brousse - Qu'est-ce qui ne va pas à l'Insee et dans la statistique publique ?

Bonjour à tous,

J'interviens au nom du Comité de défense de la statistique publique, qui a initié l'appel en ligne « sauvons la statistique publique !» Je précise que ce comité travaille en bonne entente avec une Intersyndicale très active.

L'indépendance de la presse écrite et audiovisuelle, on l'a vu, mais aussi l'indépendance de l'information statistique est un garde-fou majeur de notre démocratie, aujourd'hui gravement menacé.

La statistique publique, c'est rappelons-le, l'Insee mais aussi les services statistiques des ministères comme la Dares qui produit des statistiques sur le travail ou encore la Drees, responsable des statistiques dans le domaine sanitaire et social. Vous connaissez bien nos productions, des indicateurs clés comme le taux de croissance, l'indice des prix, le taux de chômage, les écarts d'espérance de vie entre les cadres et les ouvriers, le taux de pauvreté pour ne retenir que les plus connus. L'Insee et les services statistiques des ministères produisent également des études largement reprises dans la presse et fournissent aux chercheurs des données brutes qui alimentent leurs travaux.

En fait, l'Insee et la statistique publique remplissent une mission de service public qui vise à nourrir le débat démocratique. Cela consiste à produire une information fiable et impartiale, et à la mettre à disposition de tous. De tous, c'est qui ?

- des « décideurs » politiques, bien entendu : nos travaux doivent les aider à prendre leurs décisions
- mais la statistique publique doit aussi servir, plus largement, l'ensemble des citoyens, les associations, les organisations syndicales, pour leur permettre de juger sur pièces le bienfondé des décisions politiques, voire élaborer les contre-projets politiques, économiques, et sociaux. Et ça, c'est vital pour la démocratie.


En pratique, la garantie de ces droits pour chacun repose sur l'assurance qu'au quotidien, les statisticiens publics, ils sont 8000, puissent travailler en toute impartialité. Bien sûr, leurs compétences et leur déontologie constituent une garantie en la matière, mais elles ne sauraient être que relatives et naturellement discutables elles aussi. Mais, comme pour d'autres professionnels de l'information, ils doivent faire face à des pressions politiques plus fortes que jamais :

- Remises en cause publiques des statistiques qui ne coïncident pas avec le discours gouvernemental,

- Limogeage sans aucune justification du directeur général de l'Insee, au bout de 4 ans d'exercice, soit le plus court mandat depuis la création de l'Iinstitut,

- Blocage de publications par certains cabinets ministériels,

- Non respect des dates de publications officielles quand elles sont dérangeantes pour la communication politique,

ce sont autant de moyens, de plus en plus fréquemment employés, de porter atteinte à l'indépendance professionnelle de la statistique publique et ceci au mépris le plus complet du Code de bonnes pratiques de la statistique européenne que la France s'est pourtant engagée à respecter.

Début septembre, le Gouvernement innove en la matière. Sans aucune concertation préalable, il annonce la délocalisation à Metz d'une partie importante de la statistique publique, sans lien avec ses missions mais pour compenser les pertes d'emplois dans les territoires touchés par la réforme de la carte militaire.

Dans un contexte de baisse des effectifs sans précédent, cet oukase menace l'efficacité et la qualité de la statistique publique. Et son indépendance.

De plus en plus d'élus, y compris dans la majorité gouvernementale, d'économistes, de sociologues, d'organisations syndicales s'en inquiètent publiquement. Et même le directeur général de l'Insee lui-même, alerte sur je cite : « le risque élevé de pertes d'expérience professionnelle et de capital humain ». On sait en effet qu'en cas de délocalisation, seulement 10% des agents suivent leur poste délocalisé.

L'exemple désastreux de l'office statistique britannique, délocalisé suite aux années Thatcher, confirme bien que la crédibilité des travaux de la statistique publique est fragile.

Cette crédibilité repose sur la compétence et la déontologie des agents que l'on recrute, et sur les moyens alloués à leurs missions. Une crédibilité remise en cause ou des moyens moindres, c'est une capacité affaiblie à résister aux pressions.

Sans l'indépendance, la statistique ne serait plus publique mais étroitement gouvernementale ou marchande.

Les statisticiens publics sont aujourd'hui plus que jamais déterminés à résister pour préserver une statistique publique indépendante. Notre indépendance n'est pas un privilège mais une nécessité pour la démocratie.

www.sauvonslastatistiquepublique.org