Elisabeth Weissman - Qu'est-ce qui ne va pas dans l'information ?

Elisabeth Weissman, journaliste et essayiste


Ce cahier du malaise social et démocratique que nous ouvrons avec vous ce matin, nous allons commencer à l'écrire en évoquant les atteintes portées par le pouvoir politique et financier sur cette liberté publique fondamentale qu'est le droit à l'information. Un droit qui, pour les journalistes passe par la liberté d'informer et pour les citoyens par la liberté d'être informé.

Alors à la question « qu'est-ce qui ne va pas dans l'information » il y a bien sûr et en premier lieu, l'indignation et l'inquiétude de tous, professionnels de la presse et citoyens, face à cette attaque sans précédent contre la liberté d'information, face à cette incroyable régression démocratique que constitue la réforme de l'audio-visuel public. Ainsi le Président de la République pourra-t-il nommer et révoquer les présidents de France Télévision et de Radio-France et pourquoi pas décider des programmes !
Autrement dit, se profile à grand pas, la volonté affichée du pouvoir de museler l'information, d'entraver la liberté de critique, de distiller ce climat d'allégeance et de peur qu'il veut répandre sur les esprits, de faire des journalistes de zélès serviteurs, des relais de la parole officielle au service d'un conditionnement sournois de l'opinion. La désinformation qui règnait déjà avant la réforme, dans le choix, la hiérarchie, le traitement des sujets des journaux télévisés laisse mal augurer de ce qui va se passer désormais avec l'application de la réforme : on peut s'attendre au pire. Des journalistes, transformés servilement en outils de propagande du pouvoir, en instruments de formatage et de paupérisation des esprits, en marchands de vulgarité.
Déjà nous assistons :
-à cette hypertrophie du fait divers au détriment du social, à cette dictature de l'émotion/spectacle au détriment de l'analyse, procédé populiste utilisé par exemple pour justifier le vote de la loi sur la rétention de sûreté.
-à ces successions de micro-trottoirs qui privilégient toujours l'individu au détriment du collectif et qui vont toujours dans le sens d'une division des catégories les unes contre les autres : il n'est que de voir comment est systématiquement traitée une grève des transports. L'usager/otage contre le salarié/grèviste, la grogne/individuelle contre la grève/collective
-à des interviewes tronquées de personnalités présentées au titre de leur appartenance professionnelle alors qu'elles sont par ailleurs membres de la majorité.

-Ce qui ne va pas dans l'information, c'est le règne de la peur et de l'intimidation : ce sont toutes ces tentatives de mise au pas des journalistes sommés de devoir révéler leurs sources à coup de convocations policières, de perquisition judiciaire et de garde à vue. Selon le rapport de Reporters sans Frontières, "depuis deux ans, la France détient le record européen en nombre d'interventions policières ou judiciaires liées au secret des sources, avec cinq perquisitions, trois mises en examen et sept convocations de journalistes"
On se souvient des interpellations de Guillaume Dasquié et de Vittorio de Filipis mais qui ne font que partie d'un mouvement plus général d' extension du domaine de l'indimidation : l'augmentation sans précédent des gardés à vue. Au cours des douze derniers mois, c'est 1 % de la population qui a été placée sous ce régime de contrainte, pour lequel les policiers répondent d'objectifs de performance chiffrés. Car là aussi il faut faire du chiffre.

-Ce qui ne va pas dans l'information, ce sont ces journalistes et techniciens en situation de perdre leur emploi, comme à RFI, où plus de 200 d'entre eux sur un millier, attendent d'être remerciés, au nom d'un plan si élégamment appelé plan de modernisation mais qui va contribuer en supprimant la diffusion en six langues dont l'allemand, à abaisser le rayonnement culturel de la France à l'étranger et à restreindre le pluralisme d'opinion dans les pays concernés.

-Ce qui ne va pas dans l'information, c'est l'indépendance de l'Agence France Presse directement mise en cause par les menaces de privatisation qui pèsent sur elle

-Ce qui ne va pas dans l'information, c'est évidemment la main mise des grands groupes industriels sur la presse, tous amis intimes du Président de la République et qui considèrent la presse comme une vulgaire activité économique. Or si la presse est effectivement une industrie, elle ne peut pas être considérée « industrie comme une autre ». Elle est aussi un produit culturel. Or cette approche purement « économique » de la presse, entraîne non seulement la soumission des journalistes à la dictature du marketing, mais aussi et surtout à une attaque de la pensée et au triomphe idéologique de la bien pensance. On ne sait pas la souffrance des journalistes contraints à des renoncements permanents, à revoir à la baisse leurs exigences d'une information de qualité au nom du mépris dans lequel on tient les lecteurs et dans lequel on les tient eux aussi. Ainsi l'exemple de ces journalistes de titres grand public forcés à la paupérisation intellectuelle, à qui l'on empêche par exemple d'utiliser des références littéraires dans leurs papiers parce que c'est trop intelligent, « parce que la culture », dixit la rédaction en chef, « ça fait fuir le lecteur ». Alors, claquer la porte, partir tête haute, certes, mais pour aller où ?

Ou encore parlons de ce malaise des journalistes obligés à bâcler leur enquête parce qu'aller sur le terrain cela prend du temps et cela coûte cher, obligés de plus en plus à écrire « court » ou « croustillant » au motif que le lecteur ne saurait plus que « zapper » et ne serait plus intéressé que par les rumeurs, les bruits de couloir et les secrets d'alcôves.

-A la question « qu'est-ce qui ne va pas dans l'information » Il y a la dégradation des conditions de travail, le malaise d'une profession soumise à une précarisation galopante. Le nombre des précaires ne cesse d'augmenter : Les journalistes professionnels rémunérés à la pige représentent désormais un quart de la profession et sont actuellement en butte à une attaque sans précédent de leurs droits sociaux et de leurs salaires. A quatre vingt euros, voire soixante euros en moyenne le prix du feuillet, prix qui n'a pas augmenté depuis 20 ans, voire qui a baissé, on est en droit de se demander s'il ne faudra pas être riche désormais pour s'offrir le luxe de pouvoir être journaliste. C'est un vrai problème qui pose par voie de conséquence la question du recrutement socio-économique des journalistes et de cet « entre-soi » si dommageable pour la profession.

-Et puis enfin, il y a un autre type de malaise qui concerne cette fois directement la liberté des citoyens à l'information, et qui est porté par ceux qui sont en amont de la chaîne et qui produisent de l'information : je veux parler du malaise des statisticiens. Certes ils ne sont pas journalistes, mais ils sont en amont de la chaîne de fabrication de l'information puisqu'ils fournissent aux médias ces données indispensables au débat démocratique. Cécile Brousse qui représente l'appel « Sauvons la statistique publique » nous parlera de ce qui se passe en ce moment à l'Insee avec le démantèlement du système de la statistique publique et le blocage par le gouvernement de publication d'enquêtes.

Mais pour l'instant je passe la parole à Edwy Plenel, président de Mediapart et signataire de l'appel des six pour la liberté de l'information.