Intervention de Marie-José Del Volgo

Lorsque Roland Gori et Stefan Chedri ont eu l'idée de cet Appel des appels, j'ai immédiatement encouragé et soutenu cette initiative. Ces derniers temps, j'ai signé beaucoup d'appels sans toujours avoir le sentiment de faire plus qu'un clic pour signer et un autre pour confirmer. Pour certaines pétitions, comme Sauvons la clinique, l'engagement était plus soutenu, mais aussitôt contrarié par d'autres initiatives justifiées par une actualité sans cesse changeante.
En tant qu'enseignant-chercheur et praticien hospitalier, je suis depuis très longtemps attentive à tout ce qui se passe dans les milieux de l'Université, de la Recherche et de l'hôpital. Dans les réformes récentes engagées le plus souvent dans une hâte volontaire, il s'agit de toujours plus faire valoir que ce qui compte, ce qui a une valeur, c'est ce qui peut être « compté ». Dans le domaine de la recherche, avec la bibliométrie scientifique, les publications sont très peu lues, elles sont simplement et « bêtement » comptées. La valeur du chercheur se mesure en fonction du taux de citations des revues dans lesquelles il publie.

A l'hôpital, la tarification à l'activité (T2A) a définitivement enterré le prix de journée, prix de séjour, qui avait le mérite de reconnaître l'hôpital comme lieu de séjour et d'accueil, lieu d'hospitalité pour tous. Avec la T2A, l'hôpital fournit des services à des « clients » consommateurs de soins dans une logique marchande. Il n'existe pratiquement plus aucune différence entre hospitalisation privée et publique, la seule différence consiste dans la rémunération à l'acte des médecins dans le privé.
La valeur comptable, chiffrée, des activités est fort commode et peu importe si la validité est mauvaise. Prenons le « calcul » de la lutte contre les maladies nosocomiales. Un des critères de cette lutte est celui de la consommation de produits aldéhydés ! Plus on en consomme et meilleure serait la lutte contre les maladies nosocomiales. Il fallait y penser. L'activité globale se mesure par l'indice ICALIN [[ICALIN : Indice Composite des Activités de Lutte contre les Infections Nosocomiales.]] dont l'augmentation de 97,5 à 99,5 est considérée comme une véritable victoire, et la chute de ce « score » de un ou deux points comme une défaite épinglée en plus haut lieu ! Les efforts de la lutte contre les maladies nosocomiales sont évalués, autrement dit « mesurés » grâce à ce score et permet d'établir un classement des établissement hospitaliers. Les drames individuels, des patients et de leurs familles comme des soignants, sont noyés dans cette bonne conscience que donne le chiffre, la bonne note en somme.

Il ne s'agit pas pourtant de désespérer dans l'avenir. Au moment où la crise économique et financière créait un tel effet de sidération que tant d'argent donné aux banques paraissait normal, voire indispensable, au beau milieu de cette anesthésie généralisée, est arrivé le miracle américain. Des Etats-Unis, nous n'attendions plus rien de bon. Pourtant les Américains nous ont donné une belle leçon de démocratie et dans un bel élan de générosité une majorité d'entre eux, véritables héros de ce moment historique, a voté pour Obama. Il est toujours permis d'espérer.

Cet appel des appels est déjà pour moi la fin de la stigmatisation de professionnels vis-à-vis d'autres professionnels, la fin des corporatismes stériles. La logique économique et comptable, génère des souffrances sociales pour les professionnels et tous les exclus de la société. Il ne sert à rien d'opposer sauvagement les directeurs d'hôpitaux, nouveaux capitaines d'industries, à la vieille élite des médecins mandarins. Nous sommes tous dans la même galère, celle où l'intelligence d'un cerveau calculateur et d'une neuro-économie de pacotille, avec leurs réductionnismes affligeants, tend à remplacer l'intelligence du c%oe%ur [[Ce texte reprend l'article paru dans L'Humanité du 31 janvier 2009, « Cultiver l'intelligence du c%oe%ur », Marie-José Del Volgo, http://www.humanite.fr/2009-01-31_LeaderN_Cultiver-l-intelligence-du-coeur]].
Mettre en commun notre souci de l'autre et de soi, dire que nous en avons assez de cette dictature des chiffres et de la technique qui prévaut sur l'humain depuis trop longtemps, c'est déjà atteindre un premier objectif et faire acte de résistance. Pour la suite, c'est chemin faisant, loin des agitations stériles, que tous ensemble nous agirons.


Paris, le 31 Janvier 2009